L’échange des princesses
Chantal THOMAS
Ed.Seuil, 2013, 348 p.
Quand
le passé télescope le présent…
Etayé par
plusieurs manuscrits authentiques que le passé a fini par oublier, le pacte de
lecture dans le roman de Chantal Thomas se construit au travers d’un style
fougueux, ironique et paradoxalement scientifique, métissant les deux genres
romanesque et épistolaire, autour d’une France et d’une Espagne typiquement
monarchiques. La structure en journal intime ou encore en carnet de voyage
aiguise la curiosité du lecteur, l’incitant à voyager dans les vestiges d’une
culture européenne dénonçant le caractère fallacieux de l’aristocratie de
l'époque.
En effet,
et dans l’unique dessein d’instaurer la paix entre les deux pays susdits, le
Régent français Philippe d’Orléans propose d’échanger sa fille, Melle de
Montpensier, contre la jeune infante espagnole, Maria Anna Victoria. La
première ayant atteint les prémices de l’adolescence (douze ans) est destinée à
se marier avec le jeune prince des Asturies, qui sera le futur roi d’Espagne.
Quant à la deuxième, elle a uniquement quatre ans et devra épouser le roi Louis
XV âgé tout juste de onze ans et qui sera couronné roi de France dans quelques
années.
Caprices
et détours sont au rendez-vous dans notre fiction historique, prouvant bien au
fil du récit que l’étymologie du mot « enfant » doit être remise en question,
car « l’enfant » n’est certes plus ici l’« infans » qui ne sait pas parler… Un
excellent coup de théâtre viendra in extremis dévier le cours ordinaire et
prévu de l’histoire.
Une
lecture imprégnée par le contexte oriental et tout son cortège de
bouleversements perpétuels pourrait éventuellement générer des phénomènes
d’échos : d’une part, le mariage précoce et forcé des enfants, qui continue de
retentir dans la majorité des pays arabes, et d’autre part, l’obstination des
deux princesses échangées qui arrivent, grâce à leur force de caractère et leur
persévérance, à rentrer chacune chez elles, mais sans joie aucune : la clausule
« Elles se croisent à nouveau, ne s’embrassant pas au passage. L’échange
s’effectue en sens inverse. » (p. 329) est fort révélatrice de notre situation
actuelle. Dans un monde où après la pluie, rien ne se passe, tout reste gris et
maussade, où les intérêts individuels priment sur les intérêts nationaux, où
tous ces élans vers une liberté tant rêvée et vers le fleurissement d’un
printemps arabe tant voulu, s’avèrent tristement fallacieux, on voit bien que
ce n’est rien d’autre qu’un peu de fumée qui s’évapore dans l’air aussi vite
que son déclenchement.
Nada DAOU
Département de Langue et
Littérature Françaises
Faculté des Lettres
Université Saint-Esprit de
Kaslik
Petites scènes capitales
Sylvie Germain
Ed. Albin Michel, 2013, 247 p.
Fragments et totalité ou les diapositives d’une vie
Telles des
diapositives projetées sur une toile, quarante-neuf séquences courtes se
suivent pour former une image kaléidoscopique de la vie de Lili/Barbara, la
protagoniste de Petites scènes capitales. Lili, qui préfèrerait tant
être appelée par son deuxième prénom, Barbara, n’a rien d’exceptionnel, si ce
n’est qu’elle est confrontée dès sa plus jeune enfance à de terribles
événements.
Orpheline
d’une mère qui a quitté son père peu après sa naissance et qu’elle n’a jamais
connue, Lili Barbara se voit comme larguée dans une nouvelle famille après le
deuxième mariage de son père. Elle est alors confrontée à un demi-frère et
trois demi-sœurs, dont deux jumelles nées un jour avant elle – ce qui lui
vaudra non seulement d’être la plus jeune de la famille, mais aussi de vivre un
« escamotage de son anniversaire » qui est toujours fêté à l’avance. Elle perd
subitement sa place d’enfant unique pour se retrouver à l’ombre de tous. Mais
cette famille va progressivement se désagréger, et ce dès le décès d’une des
jumelles provoqué involontairement par leur mère, lequel plonge tous les
personnages dans le chaos. La seconde jumelle quitte la famille pour aller
vivre chez son père en Nouvelle-Zélande. L’aînée des filles accouche d’une
fille sans bras ni jambes, l’abandonne à la famille et part à son tour. Le fils
tourne le dos à ses ambitions religieuses. La belle-mère perd la raison. Et
Lili Barbara, devenue adolescente, subit cette décomposition en silence,
demeurant la petite fille à l’ombre de la famille.
L’histoire
est longtemps narrée hors du contexte socio-historique, suggérant là le
caractère intemporel et applicable à toutes les époques d’un drame familiale,
intrinsèque à l’humanité, car le lecteur peut se figurer que cela se passe
aujourd’hui, cela s’est sans doute passé auparavant et continuera de se produire.
A mesure
que Lili Barbara grandit, elle prend conscience de son environnement et de son
époque, et cela coïncide alors avec la compréhension progressive du lecteur qui
commence enfin à appréhender le contexte. Une fois qu’elle a grandi, le lecteur
est plongé dans les événements de mai 1968 et comprend que ses expériences sont
placées dans l’époque de l’après-guerre. L’œuvre apparaît dès lors sous un tout
autre jour : toute la lourdeur des relations intergénérationnelles entre Lili
Barbara et son père est mise en rapport avec ce que cette période évoque au
lecteur.
Il est
regrettable, néanmoins, que le roman n’aborde l’expérience humaine que comme
une succession d’événements liés les uns aux autres par une loi de cause à
effet. Les chemins empruntés par les personnages sont extrêmes, les drames qui
s’ensuivent démesurés – notamment la naissance sans bras ni jambes de la fille
de l’aînée.
En
revanche, l’écriture mérite une considération certaine. L’excellente maîtrise
du langage de l’auteur est remarquable dès la première page, alliant à la fois
un registre soutenu et une fluidité et une légèreté dans la lecture. L’aspect
fondamental de cette écriture est le langage très imagé qui fait écho au style
séquentiel choisi par Sylvie Germain. Il reflète ainsi parfaitement l’idée
d’une série de diapositives prises de la vie de Lili Barbara, formant, en dépit
des fragments accolés, une harmonie totale entre style et langage.
Daoud Bouledroua
Département de Langue et
Littérature Arabes
Faculté des Lettres
Université Saint-Esprit de
Kaslik
Petites
scènes capitales
Sylvie Germain
Ed. Albin Michel, 2013, 247 p.
Le petit est-il capital ?
Les Petites
scènes capitales, peignent une diversité de tableaux impressionnistes
foisonnant de milles jeux d’ombres et de lumières. Ce titre intriguant ouvre la
voie royale à la glorification de l’oxymore qui rend compte de la complexité de
la vie et de l’être humain. À travers la dualité, le roman embrasse la vie dans
tous ses aspects.
Suspendue
entre prose et poésie, l’œuvre de Sylvie Germain dépeint le parcours de
Lili-Barbara qui se voit dans les bras d’une mère qu’elle n’a jamais connue, et
dont elle n’a qu’une simple photo, rien d’autre. Or, il a suffi d’une simple
photo pour que les questions métaphysiques commencent à hanter l’esprit de Lili
dès son plus jeune âge. N’ayant point de
réponse, Lili poursuit une quête susceptible de lui dévoiler le secret des
origines ; les siennes et celles des autres. En effet, Petites scènes
capitales relatent le périple de la quête de soi, de son identité. C’est
l’histoire d’une vie, d’un destin. « Avant, j’étais où ? Et comment j’étais, je
ressemblais à quoi ? J’étais qui ?... »
Ces
bribes éparses du questionnement existentiel et métaphysique n’étonnent point
de la part d’un auteur qui a fait de profondes études de philosophie.
Petites scènes capitales s’inscrit dans le critère de l’universalité. Le
lecteur, à l’instar de Lili-Barbara s’aventure à la recherche de réponses pour
calmer son esprit inquiet, pour étancher sa soif de comprendre les secrets
intimes de la vie, bref, du monde.
En
psychanalyse, les SCENES CAPITALES signifient les scènes traumatiques. Témoin
de plusieurs tragédies, Lili-Barbara est affectée par des deuils successifs
dans sa famille : le décès de sa grand-grand mère, la mort de Christine, puis
la mort de Sophie, la fille sans bras ni jambes de Jeanne Joy, de Vivianne, et
puis finalement celle de son père. Complètement bouleversée, Lili essaye de
décoder les mystères de la disparition en tentant de réfléchir sur le sens de
la vie et la croyance en un Dieu : «Comment surtout rester croyant face à
l’absurdité, à la cruauté qui si souvent distordent la vie ? »
Faut-il
se demander s’il ne s’agit pas effectivement de petites PEINES capitales ?
49
scènes marquent la vie de Lili-Barbara que nous accompagnons, dès la jeunesse
jusqu'à l’âge adulte, dans la constitution de sa personnalité. Des scènes
importantes et parfois anodines sont racontées par Sylvie Germain. Composant
par son écriture une symphonie musicale, la plume de l’auteur sollicite tous les
sens et installe sur un piédestal de PETITES SCENES révélatrices de sens.
S’arrêter pour contempler le ciel, un arbre, la mer… Ressentir d’une manière
nouvelle ce qui est usé par l’habitude… Chanter l’hymne du détail, de
l’authenticité tel est le bonheur de vivre de Lili-Barbara. Petites scènes
capitales est la célébration des chambardements des règnes, du renversement de
l’ordre habituel de la vision des choses. De cette manière, le roman grandiose
de Sylvie Germain opère bien une purification, une catharsis.
Grâce
aux PETITES scènes capitales, aux moments solennels de méditation, le
personnage solitaire a pu fixer son passé ; il l’a restitué, capté. Tel un
phénix, Lili-Barbara renaît, survit.
Ce
roman qui emprunte des chemins tragiques pour arriver finalement à un havre de
paix, c’est l’histoire d’un personnage qui retrouve la stabilité dans un monde
mouvant…
Pamela
Tabbiche
Département de Lettres françaises
Faculté des Lettres et des sciences
humaines
Université Saint-Joseph (Beyrouth)
Palladium
Boris Razon Ed. Stock, 2013, 474 p.
Rien de nouveau dans l’au-delà !
«
N’oubliez jamais les enfants que la mémoire est le meilleur outil de l’homme.
N’oubliez pas, les enfants, que l’humanité compte plus de morts que de vivants.
» Boris Razon, ancien rédacteur en chef du Monde.fr nous invite, à travers un
œil bleu bien exposé sur la couverture de son Palladium, à voyager avec
lui dans le monde des aventures du Sphinx. Des aventures vécues plutôt à la
manière bien connue d’Alice aux pays des merveilles. Et pourtant, ces aventures
demeurent innovatrices. Palladium est le voyage hallucinatoire dans la douleur
physique et psychique de l’homme. Dans son récit autobiographique, Razon,
acteur et spectateur de sa propre vie, tombe dans le gouffre de la maladie et
se met à voir des bizarreries. Quant à sa perception, ne serait-elle pas le
simple résultat de la drogue et des médicaments abondamment injectés dans un
corps paralytique et comateux ? Non. Cette poudre blanche que l’écrivain jette
aux yeux du lecteur ne vise pas à le tromper : « Tu crois que j’invente. Tu te
trompes, tout est inscrit là dans mon corps, chacune des épreuves que je te
raconte a laissé des traces.» Ces épreuves vécues dans l’inconscient et la
douleur, aussi chimériques soient-elles, demeurent vraies. Les aventures que
Razon a vécues telles que l’invasion d’une cité, le chaos, la puanteur et le
rejet dû à l’enfermement de chacune des nations sur elle-même ne seraient-elles
pas le corps-même d’un auteur en chute permanente? Et ce corps-charogne de
l’auteur, ne serait-il pas une métonymie de la réalité ? Cet irréel ne
serait–il pas écrit alors pour raconter le réel ? Razon voit et donne à voir au
lecteur, ce qui est d’ailleurs le rôle de tout écrivain ; de tout artiste. Et
l’artiste, est par définition, trompeur et illusionniste, mais s’il se sert de
tromperie et de fiction, c’est parce qu’il présente la vérité dans son état
cru. Dans Palladium, il n’y a pas d’illusions ; il n’y a que des
allusions. Quant à l’acte de voir, Razon non seulement donne à voir son périple
dans une autre dimension, il fait voir au lecteur les coulisses de ses
aventures ; il voit et donne à voir. Autrement dit, Razon non seulement expose
les scènes vivantes de son « voyage », il invite aussi le lecteur à voir
comment il les a élaborées; il l’invite à voir et qui dit voir dit lire. Par
conséquent, le lecteur assiste à la genèse de l’écriture, du roman.
Vers la fin du
roman-voyage, la métamorphose prend fin tout comme le nombre de pages. Et
Razon, qui a fait une descente chimérique dans le caché et l’intime pour vivre
la métamorphose et le voyage, en sort changé et raconte l’histoire de son avènement
à partir d’une matrice : « C’est le ventre d’où je suis en train de sortir. Tu
entends ici le récit de ma naissance.» Ainsi, auteur et lecteur subissent une
transformation durable suite au passage dans le trou noir ; dans l’œil ; dans
le roman…D’ailleurs, la maladie, voire la chute de l’auteur, a commencé quand
il a senti un fourmillement dans la main : « Depuis la minute où j’ai senti ce
doigt fourmiller au bureau, j’avais été entraîné vers le bas.»
Un fourmillement de main engendre alors une pupille dilatée. Et de l’œil qui
voit à la main qui écrit, on passe à l’acte d’écriture qui engendrera plus
tard, et à son tour, un acte de lecture.
Razon partage
avec le lecteur son feu prométhéen:
« Cette plongée
dans LE passage n’est pas irréelle, ce serait trop simple. Non, c’est un voyage
au cœur de la mort. Et un révélateur pour les hommes, en tout cas pour moi. »
Razon visite donc le royaume des morts et il sera invité à assister au chaos
infernal, aux bacchanales, à la violence et à la douleur. L’«Ulysse des temps
modernes» errant sera tantôt attiré par le chant des sirènes pour succomber à
la mort, tantôt invité à braver cette dernière, et, comme le mythe d’Ulysse, le
mythe du va-et- vient et de l’aller-retour, Razon oscillera entre horizons et
racines, entre un ici et un au-delà alors que sa Pénélope, Caroline, l’attend
avec espoir. Finalement « J’étais au fond du puits et je remontais lentement»
et la mort ne fut plus traversée : « Je sais bien où je me trouve. Je suis là
et je te parle. Mais ce qui nous relie, ce sont les mots, la pensée (…) Pour
m’empêcher de sombrer dans le néant, [la douleur] m’a permis de surnager au
milieu du chaos. Elle a mis mon supplice en image, elle en a fait une
histoire.»
Enfin, Razon est
sauvé grâce à la douleur et grâce à l’œil dilaté du lecteur : « on est ici
grâce à toi. Ce qui compte, c’est ton regard. Tu es le seul à qui je raconte
tout. » Faudrait-il alors chuter et divaguer pour écrire et raconter ? Le
Palladium de Boris Razon est à la fois des Mémoires sur la mémoire de la
douleur et une aventure-cicatrice qui illustre la violence, l’amour,
l’identité, les rituels et la maladie dans une écriture qui n’exorcise qu’à
travers votre œil, «cher lecteur» afin que vous appreniez «ce que cela coûte de
fréquenter ce monde-là»…
Yousra El Baba
Université Saint-Joseph
Nue
Jean-Philippe Toussaint
Les Éditions de Minuit, 2013, 176 p.
Marie Madeleine Margueritte De Montalte et lui
« Il
était impossible d’échapper à cette odeur lancinante de chocolat […] Nous nous
frottions les joues avec les doigts pour y échapper, en avançant toujours entre
deux rangées de tombeaux qui paraissaient se rétrécir autour de nous, cette
odeur de chocolat qui semblait couler du ciel comme une résine de pin gluante
et recouvrait le manteau de marie, pour le napper, lentement, l’enrober, le
saupoudrer d’une fine pellicule chocolatée.».
Du
chocolat morbide, de la douceur mêlée à la faucheuse… tel est l’avant-goût
aigre-doux du roman Nue de Jean-Philippe TOUSSAINT. Le roman s’ouvre sur un
défilé de mode de Marie qui présente une robe faite en miel naturel portée par
un mannequin suivi d’un essaim d’abeilles –vivantes bien sûr- (pas de soucis
pour les écolos, Marie ayant pris contact avec les apiculteurs). Il se poursuit
dans une atmosphère baignée de chocolat.
Étant le
quatrième volet d’une série, on serait tenté de se décourager et de ne pas
entreprendre la lecture du roman. Ce dernier portant sur Marie Madeleine
Margueritte De Montalte, nom imposant au « M » en quadruplé (tout comme ses
romans) et qui occupe en effet, une place aussi impressionnante que son
onomastique tant dans la vie du narrateur que dans le roman. Mais, qui est
cette Marie ? Idolâtrée et sublimée, aucune description précise n’est donnée ;
l’Amour et la Beauté n’ont point de visage. Ce mélange qu’est Marie n’est pas
difficile à déchiffrer. D’emblée, le lecteur fait la connaissance de cette
femme moderne du XXI ème siècle et l’adopte avec toutes ses lubies. Rien ne
paraît plus simple que de la comprendre et de lui manifester de la sympathie
puisqu’en chacun(e) de nous et dans la
vie de chacun, Marie existe.
La trame
est loin d’être aussi suave et facile que l’on peut croire. Une femme, un
homme, un amour et deux séjours à l’Ile d’Elbe, le premier pour des vacances et
le second pour un enterrement, apparemment, mais qui prend rapidement une
tournure plus personnelle, une dimension plus large, celle de la vie et non
celle de la mort.
Marie,
amante du narrateur, et en parfaite artiste, rompt et renoue avec cet homme
ensorcelé par sa présence-absence, par sa beauté et son caractère à double
tranchant ; ombrageuse, amicale, bête furieuse ou brebis humble et
sentimentale. Et lui, l’accompagnant toujours, n’étant « qu’un faire-valoir » puisque Marie « jouait tous les rôles ».
Débutant
par une narration simple, linéaire, ponctuée d’analepses, le roman vous emporte
rapidement en un tourbillon sous-jacent, latent, il vous attrape et vous attire
vers l’œil du cyclone, au cœur de l’action. On accompagne chaque geste, chaque
pas, on s’identifie aux personnages (que l’on soit amoureux ou pas). Les
descriptions se font nombreuses, poignantes, vraies. Les mots mis sur les
sentiments ne peuvent être mieux choisis. Ce retournement nous laisse éberlués,
à la lecture de la dernière phrase du livre. C’est le genre de livre qu’on
aimerait relire, qu’on citera, qui inspirera des figures rhétoriques aux
tournures nouvelles.
L’actualité
se marie aux sentiments les plus archaïques et cet amalgame, homogène, illustre
merveilleusement ce doux équilibre, cette intemporalité de l’œuvre qui lui
assure une actualité renouvelée.
Une
dimension psychologique présente l’homme à nu face à l’amour, à la passion et à
la relation d'un couple contemporain. Relation où les traditions sont
bouleversées, la femme est une artiste à succès, elle brille dans le milieu du
travail et en société alors que l’homme, ombre, pantin désarticulé et
dépendant, l’accompagne, s’identifie à elle en lui laissant la place de choix,
de décision bref de pouvoir. Il se prépare longuement pour aller la voir; il
s’est « douché, [il s’est] rasé avec soin ». De plus, lors de leur séjour à
l’Ile d’Elbe, elle est toujours dessinée comme femme forte, «debout », en
position de force, regardant le dehors
par la fenêtre et lui « allongé » regarde le plafond, horizon fermé. L’homme
est en attente continuelle tout au long du roman justement par besoin de se
sentir protégé et rassuré. Cette attente typiquement féminine, incarnation de
l’amour se trouve justifiée en lui.
Jean-Philippe
TOUSSAINT, en s’attaquant aux sentiments vifs, premiers de l’homme tisse la toile de l’infini, de l’Humain, de
cet héritage qui grandit et s’enrichit au fil des ans et des décennies.
L’auteur ajoute des douceurs à l’âme du lecteur, rien ne se perd tout se transforme,
même les craintes, les angoisses et l’amour-dépendance se traduisent en un
fruit, une nouvelle sucrerie pour que la charge affective et historique de ce
prénom qu’est Marie se renouvelle.
Nisrine
KHOURY
Département de Langue Française
Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines (section 2)
Université
Libanaise
Petites scènes capitales
Sylvie Germain
Ed. Albin Michel, 2013, 247 p.
Une fleur carnivore ?!...
« Avant, j’étais où ? J’étais qui,
j’étais quoi ? Qu’est-ce que je fais là sur la terre ? A quoi bon exister ? A
quoi bon moi ? ».
Un paradoxe identitaire teint ce
roman familial et tragique, traçant la vie de Lili, une fille orpheline de mère
qui porte en elle un grand point d’interrogation sur l’origine et le destin des
hommes, et notamment quand elle vit une série de deuils. Les personnes qui
l’entourent s’éclipsent chacun à son tour, victime de l’âge, d’un accident ou
d’une maladie… Ce fantôme noir de l’absence hante donc Lili tout au long de sa
vie qui n’est qu’une succession de petites scènes où elle se cherche toujours
sans jamais se trouver : « Pourquoi suis-je là, pourquoi suis-je moi, en vie,
telle que je suis, en cet instant ? ». Cette fille perdue entre les secrets du
passé et du présent vit aussi l’amour, rejoint un groupe de jeunes révoltés,
s’adonne à la peinture et ne cesse de découvrir le monde en tant qu’une fille
ordinaire.
C’est une véritable quête d’identité
passionnante que Sylvie Germain-qui a achevé ses études en philosophie et s’est
intéressée à la « dissection de l’âme humaine »-nous présente sous forme de 49
chapitres courts, d’un style magnifiquement travaillé, philosophique et d’une
écriture métaphorique qui mêle l’abstrait au concret. Assemblant ses mots d’une
manière poétique qui nous rappelle les poèmes en prose, elle nous fait plonger dans l’univers de ce roman de formation qui
n’est qu’une réflexion sur notre
univers, notre vie.
De « petites scènes » sont parfois «
capitales » dans notre parcours vital. Elles peuvent changer le rythme du temps
qui passe et nous rendre conscients de la fragilité de la vie qui dévore les
hommes en un instant inattendu, comme une fleur carnivore.
Romy KATTAN
Lettres françaises
Université Saint-Joseph (Saïda)
Le cas Eduard
Einstein
Laurent Seksik
Ed. Flammarion, 2013, 304 p.
Anatomie du cœur d'un fils oublié.
« Le génie ne
garantit ni de l'erreur, ni des autres faiblesses humaines », et ce n'est pas Laurent
Seksik qui vous dira le contraire. En écrivant la biographie d'Albert Einstein,
cet écrivain – médecin découvre une blessure dans son histoire : celle
d'Eduard, son fils cadet ''qui a vécu et qui est mort parmi les fous''. Cette
histoire le bouleverse profondément, et, cinq ans plus tard Le Cas Eduard
Einstein voit le jour.
Ceux qui ouvrent
ce livre pour y retrouver un Albert Einstein «encensé» et «adulé», seront très
vite déçus. Il s'agit bel et bien d'un livre focalisé sur la personne d'Eduard Einstein.
Ce jeune schizophrène de vingt-ans sait que son existence est éclipsée par
celle de son père : « Je suis le fils d'Einstein. J'imagine le doute dans votre
esprit. Le fils d'Einstein ?! C'est inscrit sur mon passeport. Eine Stein, en
un mot. Eduard de son prénom, né à Zurich, le 23 juillet 1910. Menez votre
enquête. ». Dès son entrée au Burghölzli, hôpital psychiatrique à Zurich, sa
mère, Mileva, au comble du désespoir, s'empresse de prévenir son père, qui
avait abandonné sa famille quelques années auparavant pour aller s'installer à
Berlin avec sa nouvelle femme. Albert Einstein, qui est de sang juif, est
maintenant poursuivi par les autorités nazies et doit quitter l'Europe. Il se
rend alors à Zurich pour une ultime rencontre avec Eduard, qui se soldera par
un échec. Tout au long du roman, le lecteur découvre le quotidien que va mener
Eduard durant des années : Il s'en prend aux gens qui l'entourent, essaie de se
suicider, devient paranoïaque, hallucine, sans compter les douloureux
traitements qu'il est obligé de subir à cette époque où la psychanalyse en est
encore à ses balbutiements. Sa mère, quoiqu'elle même atteinte de coxalgie, est
la seule qui va lui tenir la main pendant cette lente descente aux Enfers.
Pendant tout ce temps, nul signe de vie du père, trop occupé à défendre les
droits des Noirs, à soutenir les Juifs d'Allemagne, ou à arrêter (en vain) la
bombe atomique.
Cette biographie
romancée d'Eduard Einstein est aussi un roman où résonnent trois voix: celle du
fils oublié, de la mère dévouée, et du père trop distant. Tout au long du
roman, ces voix vont alterner, se répondre, parfois se fuir. À certains
moments, seules les voix du fils et de la mère se font entendre, ce qui montre
le silence, l'éloignement du père. Cependant, la voix de la mère s'éteindra à
sa mort, bientôt suivie par celle du père… La voix du fils elle seule
demeurera, celle d'un homme qui passera le reste de ces jours dans le dénuement
total, jardinier du Burghölzli.
Ce roman glisse
le lecteur dans l'intimité de la famille Einstein, lui livre des détails sur
l'époque mais l'amène aussi à réfléchir sur des questions universelles comme
l'éternel conflit entre la religion et la science. Le lecteur est aussi amené à
partager les peines d'Eduard tout comme ses petits bonheurs, et à comprendre la
rancune qu'il ressent envers son père. Car oui, en dépit de ses moments de
crises, Eduard sait faire preuve de fantaisie et d'humour ; il arrive même que
son esprit qui est perpétuellement en en proie à des hallucinations soit traversé
par des éclairs de lucidité.
En écrivant ce
livre, Laurent Seksik a pour projet de mettre en lumière l'histoire de ce fils
oublié. En substance, cet auteur dit lever le drame humain qui touche Einstein,
qui touche ces hommes d'exception, plus vifs, plus grandioses, plus
exceptionnels, mais qui nous concerne tous. Ce génie moustachu, vous ne le
verrez plus de la même manière, et vous réfléchirez à deux fois avant de
partager une de ses citations célèbres sur les réseaux sociaux.
Nadine
Hotait
Département de Lettres
françaises
Université Saint-Joseph (Saïda)
L’échange
des princesses
Chantal THOMAS
Ed. Seuil, 2013, 334 p.
De « L’échange des princesses » à un échange d’époques
Après plusieurs années de guerre
entre la France et l’Espagne, le Régent, Philippe d’Orléans, a une idée en
tête, une idée qui pourra enfin réconcilier ces deux pays. C’est ce qu’il
appelle «La bonne idée ». C’était de
demander en mariage l’infante Marie Anne Victoire, princesse d’Espagne, âgée de
quatre ans et fille du Roi Philippe V, pour son neveu Louis XV âgé d’onze ans.
Et en échange, il donnera sa propre fille, Mlle De Montpensier, au prince des
Asturies, fils de Philippe V, Roi d’Espagne. C’est ainsi que s’établit «
l’échange » des deux princesses. Marie Anne Victoire reçoit beaucoup d’amour et
d’attention dans la cour en France, mais n’est pas aimé comme il se doit par
son époux Louis XV. Ce dernier s’occupe de la chasse et de tout ce qui est en
rapport avec les hommes. Et, de même pour Mlle de Montpensier, qui arrive en
Espagne, son nouveau pays, mais qui ne l’aime pas, ni éprouve des sentiments
pour son époux le Prince des Asturies. Mlle de Montpensier fait apparaître son
caractère extravagant et mal éduqué, ce qui met en colère Le Roi et la Reine
d’Espagne. En France, après une maladie, la petite reine (Marie Anne Victoria)
est accusée d’être stérile, ce qui donne un autre sens à la « bonne idée » du
Régent. Que deviendra cette fameuse idée d’échange après que tout est allé de
travers ?
Chantal Thomas, auteur de L’échange
des princesses, est directrice de recherche au CNRS. Elle a publié de
nombreux essais, sur Sade (Seuil et rivages), ou encore Marie
–Antoinette (Seuil). Révélée au grand public en 2002 avec son roman Les
Adieux à la Reine, adapté au grand écran par Benoît Jacquot, elle a ensuite
publié Le Testament d’Olympe (Seuil 2010). Avec L’échange des
princesses, Chantal Thomas aborde une nouvelle fois le XVIIIème siècle,
avec érudition et fantaisie. L’échange des princesses est un roman écrit
en langue française qui fait voyager le lecteur d’une époque contemporaine vers
celle du règne de Louis XV. Le lecteur est alors transporté du 21ème siècle
dans un monde fantasmatique, une cour remplie de princes et de princesses.
Un joyau de 334 pages, conseillé
surtout aux lecteurs qui ont le goût et la nostalgie de cette époque, celle du
XVIIIème siècle, avec l’envie de séjourner pendant quelques instants chez les
Rois et les Reines, dans leur palais royal. A la lecture de ce roman, il nous
est donné de fuir notre époque marquée par la technologie, pour voyager dans le
temps et nous promener incognito dans les jardins de Fontainebleau, de
Versailles puis sentir « l’air brûlant » et « les nuits sans souffle » de
l’Espagne.
« La gueule de bois n’a jamais
empêché les bonnes idées, se dit Philippe d’Orléans en fermant les yeux dans
les forts parfums de son bain. S’il les ouvrait, il aurait le regard bloqué sur
ce gros corps ventru, blanchâtre, flottant dans l’eau chaude ; et cette bedaine
de bête échouée, cette espèce de molle bonbonne gonflée par les nuits de
débauche et de goinfrerie, sans luis gâcher complètement le plaisir de la bonne
idée, l’affaiblirait » (p.13). Quoi de
plus impressionnant qu’un tel Régent, qui décide du destin des deux princesses,
tout en étant assis dans son bain. Chantal Thomas utilise en effet cette description
péjorative du Régent, celle de son corps gros, plus précisément son ventre
émergeant de l’eau, pendant son bain, afin de
mettre en relief l’image de la femme qui est sans valeur à cette époque.
Elle est échangée tout comme une marchandise, pour des intérêts politiques. Le
roman peut se lire pour sa valeur satirique, du fait que les enfants comme
Louis XV et Le prince des Asturies sont obligés de se marier afin de mettre fin
aux tensions entre la France et l’Espagne. De même pour Marie Anne victoire (4
ans) et Mlle de Montpensier (12 ans), elles sont obligées de se soumettre à
cette décision. Les enfants et les femmes ne jouissent d’aucune considération
dans les sociétés des siècles glorieux de l’Occident, qui, aujourd’hui, défend
les droits de l’enfant et ceux de la femme. Le dernier ouvrage de Chantal
Thomas est aussi d’ordre historique : le lecteur s’introduit dans les coulisses
du pouvoir au XVIIIème siècle, sous le règne de Louis XV en France, et celui de
Philippe V en Espagne. Surtout, il nous est donné de connaître intimement l’enfance
de Louis XV, imaginée par la romancière, tout près des archives historiques, et
en même temps dans son humanité la plus dénudée...
Un livre à lire par les amateurs
d’Histoire à qui la plume de Chantal Thomas fait découvrir la connivence du
vice et de la grandeur, la cruauté toute en dentelles d’un système politique
liberticide qui instrumentalise jusqu’à la virginité de ses enfants.
Myriam Abou
Yehia
Département de Lettres françaises
Université
Saint-Joseph - Beyrouth
Il faut beaucoup
aimer les hommes
Marie
Darrieussecq
Ed. P.O.L, 2013,
320 p.
La passion au XXIème siècle
Si les romans d’amour et
de passion ont su marquer la littérature des siècles précédents, le XXIème
siècle, noyé comme il est dans les romans à l’eau de rose, peine à trouver
cette signature sensuelle.
« Il faut beaucoup aimer les hommes, écrit Marguerite Duras.
Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas
possible, on ne peut pas les supporter.». Voici l’une des citations en exergue
au nouveau roman de l’auteure et psychanalyste française Marie Darrieussecq.
Suite au succès de ses précédentes œuvres, notamment son premier recueil Truismes qui s’est vendu à plus de 300
000 exemplaires, Darrieussecq sort chez P.O.L cette année Il faut beaucoup
aimer les hommes que nous retrouvons
parmi la quinzaine d’ouvrages de la
première sélection du prix Goncourt. Un choix toutefois écarté de la deuxième
sélection de ce prix. Forte concurrence ou sujet éculé ? Quoi qu’il en soit,
nous avons nos raisons pour croire en la réussite du roman malgré son
élimination finale du prix Goncourt.
C’est à Los Angeles que
nous embarque cette fois Marie Darrieussecq où dès notre arrivée, nous sentons
la chaleur d’une flamme amoureuse qui naît au creux d’un des personnages.
Solange, célèbre actrice française à Hollywood est éperdument amoureuse de ce
grand et bel acteur d’origine africaine ; ce charmant Apollon au regard d’acier
et au prénom unique, Kouhouesso. Mais la rencontre des deux acteurs lors d’une
soirée chez Georges (Clooney) n’est pas sans ennuis. Si Solange est blanche,
Kouhouesso qui rêve de produire un film au Congo, est quant à lui noir. Ce
problème de race qui n’est pas censé être un problème majeur aux portes de 2014
surtout aux États-Unis, est un sujet sur lequel s’attarde à plusieurs reprises
Marie Darrieussecq dans son œuvre. C’est ainsi et avec une grande méfiance que
part Solange en Afrique pour le tournage de Cœurs des ténèbres, la production
de Kouhouesso au Congo. Sa rencontre avec le peuple noir est décrite comme un
chalenge que surmonte l’actrice heure après heure, seconde après seconde,
allant même jusqu’à offrir sa nourriture aux Africains par peur d’être dévorée
toute crue par eux. Manque de crédibilité qui a causé à l’auteure son
éloignement de la dernière ligne droite du prix Goncourt ? Peut-être. Mais heureusement que le racisme n’est pas
tout ce qui occupe les 312 pages d’Il faut beaucoup aimer les hommes.
Depuis leur première
rencontre dans une soirée festive, Solange ne vit plus pour elle-même, mais
existe pour voir Kouhouesso, pour entendre sa voix lors des rares fois où il
prend la parole, pour sentir son parfum et l’odeur de ses dreadlocks qui couvre
"sa lourde tête sombre". Ce que veut la jeune femme c’est embrasser
le creux de sa gorge, ne plus faire qu’un avec sa peau creusée de lignes qui la
marque chaque matin, et attendre le prochain signe de vie de l’homme aux pommettes
noires. Une attente qui finit même par nous contaminer, nous lecteurs. Le temps
que passe Solange loin de Kouhouesso nous pèse. Peu nous importe son aventure
au pays de la faim tel qu’il est décrit et ses découvertes lors de son voyage ;
on n’a qu’une seule hâte, la retrouver dans les bras de Monsieur pour une
nouvelle relation inachevée. Ne voit-on pas là une passion conjuguée au temps
Racinien ? Certes. Mais c’est surtout l’histoire de monsieur et madame tout le
monde qui nous est contée par Darrieussecq. Toute femme a en elle un côté
"Solangique", une passion peut-être enfouie au fond d’elle-même mais
qui pourtant existe. C’est alors que s’empare la psychanalyste de la plume de
l’auteure qui ne nous révèle l’identité des deux personnages que plusieurs
pages après le début du roman. Et pour mieux exercer ses méthodes
psychanalytiques, Darrieussecq fait entrer en scène Rose, l’amie de Solange,
qui vit à Paris et qui essaie de raisonner la femme tombée sous l’emprise de la
passion en traduisant ses sentiments par des mots, d’où son analyse : «Attendre
est une maladie(…). Une maladie mentale souvent féminine.»
Grâce à Il faut
beaucoup aimer les hommes, Marie Darrieussecq réussit page après page à
nous emporter de l’autre côté de la terre où se mêlent passion et regard
d’autrui, et où l’un ne rêve qu’à une carrière marquée par les succès tandis
que l’autre est prête à tout laisser tomber pour devenir l’ombre de l’homme qui
l’a fait chavirer. Un roman de passion moderne comme nous les aimons, qui ose
encore reconter l’amour comme une faiblesse.
Janine Badro
Département de
Lettres françaises
Université Saint-Joseph - Beyrouth
Le quatrième mur
Sorj Chalandon
Ed. Grasset, 2013, 330 p.
« Le quatrième mur est un écran
imaginaire qui sépare l'acteur du spectateur. Parallèle au mur de fond de
scène, il se situe entre le plateau et la salle, au niveau de la rampe. Le
public voit alors une action qui est censée se dérouler indépendamment de lui.
Il se trouve en position de voyeur : rien ne lui échappe mais il ne peut pas
intervenir. Le personnage peut briser cette illusion en faisant un commentaire
directement au public, ou
bien en aparté.»
Le quatrième mur, c'est aussi un
roman de Sorj Chalandon, paru chez Grasset à la rentrée. Il y est justement
question de monter l'Antigone d'Anouilh en pleine guerre civile
libanaise, en plein centre de Beyrouth, sur la ligne de démarcation.
Le projet utopique s'il en est, est le fruit des rêves pacifistes d'un certain Samuel Akounis.
Le projet utopique s'il en est, est le fruit des rêves pacifistes d'un certain Samuel Akounis.
Samuel Akounis
est un juif rescapé des geôles des colonels grecs. Réfugié à Paris, il se lie
d'amitié avec Georges (militant gauchiste, pion le jour, tabasseur de néonazis
la nuit).
Celui-ci l'entraîne dans les escapades utopistes des derniers survivants de mai 68. En échange, Samuel, sur son lit de mort, lui fait promettre de veiller à ce que la pièce soit montée.
Ni une ni deux, Georges s'en va à Beyrouth avec dans son sac, une copie d'Anouilh, texte qu'il vient de découvrir. Sur place, il rencontre les acteurs piochés dans les différents camps des belligérants par Samuel. Pour faire court, l'histoire se termine mal, tout le monde meurt.
Il semblerait que CHALANDON, à travers un récit bardé de vérismes déguisés en hypotyposes[1] ait choisi la problématique pas très originale de la guerre comme tragédie, ou du tragique de la guerre, ou de la fatalité de la violence en temps de guerre.
Peu importe, car dans tous les cas, nous ne rencontrons que des clichés cent fois ressassés de personnages sans grande épaisseur psychologique où le lecteur occidental bien-pensant se trouvera réconforté puisque les méchants sont toujours les mêmes, et que les innocents sont toujours attendrissants et se font toujours tuer.
Si les motivations de l'auteur sont celles de montrer que la violence n'épargne personne, cela aurait marché dans un autre contexte. Seulement, celui de la guerre civile libanaise est tellement plus complexe que le réduire à une description manichéenne et supposer que tout pourrait être réglé sur les planches est d'une naïveté qui ne sied qu'aux manifestants du dimanche, défenseurs de la veuve et de l'orphelin par correspondance. Mais loin des discours politiques, le roman souffre surtout d'un simplisme à plusieurs niveaux.
Les motivations des personnages sont souvent floues et ils n'ont aucune vision du futur. Ceci empêche le lecteur de se projeter et d'éprouver une quelconque sympathie à leur égard, problème qui n'est pas résolu par des descriptions de la violence qui frôlent le pittoresque voire l'exotisme et qui éloignent ce récit de l'empathie et le rapprochent plutôt d'un exhibitionnisme très contemporain digne des télé-réalités saturées de pathos.
Et puis, dans le roman, Georges est supposé être le Chœur. C'est Samuel qui en a décidé ainsi. Mais Georges a un mauvais cœur, c'est la première faille, l'origine de l'échec. Au lieu de montrer Antigone, Georges prend part à la guerre, il se salit les mains et rencontre, comme tous les autres, une fin à la démesure de l'Histoire. Dans l'Antigone d'Anouilh, le chœur intervient au début du texte pour situer le contexte de la pièce et nous présenter les personnages qui y évoluent. Il réapparaît par la suite tout au long de la pièce pour faire avancer le récit ou amener un personnage à la réflexion... Le roman commence ainsi et se termine de la même façon; seulement entre-temps, le Choeur a pris part aux jouissances, il s'est perverti, mais peut être l'était-il déjà avant. En tout cas, il ne remplit pas son rôle et toute l'histoire s'en trouve déstabilisée.
Celui-ci l'entraîne dans les escapades utopistes des derniers survivants de mai 68. En échange, Samuel, sur son lit de mort, lui fait promettre de veiller à ce que la pièce soit montée.
Ni une ni deux, Georges s'en va à Beyrouth avec dans son sac, une copie d'Anouilh, texte qu'il vient de découvrir. Sur place, il rencontre les acteurs piochés dans les différents camps des belligérants par Samuel. Pour faire court, l'histoire se termine mal, tout le monde meurt.
Il semblerait que CHALANDON, à travers un récit bardé de vérismes déguisés en hypotyposes[1] ait choisi la problématique pas très originale de la guerre comme tragédie, ou du tragique de la guerre, ou de la fatalité de la violence en temps de guerre.
Peu importe, car dans tous les cas, nous ne rencontrons que des clichés cent fois ressassés de personnages sans grande épaisseur psychologique où le lecteur occidental bien-pensant se trouvera réconforté puisque les méchants sont toujours les mêmes, et que les innocents sont toujours attendrissants et se font toujours tuer.
Si les motivations de l'auteur sont celles de montrer que la violence n'épargne personne, cela aurait marché dans un autre contexte. Seulement, celui de la guerre civile libanaise est tellement plus complexe que le réduire à une description manichéenne et supposer que tout pourrait être réglé sur les planches est d'une naïveté qui ne sied qu'aux manifestants du dimanche, défenseurs de la veuve et de l'orphelin par correspondance. Mais loin des discours politiques, le roman souffre surtout d'un simplisme à plusieurs niveaux.
Les motivations des personnages sont souvent floues et ils n'ont aucune vision du futur. Ceci empêche le lecteur de se projeter et d'éprouver une quelconque sympathie à leur égard, problème qui n'est pas résolu par des descriptions de la violence qui frôlent le pittoresque voire l'exotisme et qui éloignent ce récit de l'empathie et le rapprochent plutôt d'un exhibitionnisme très contemporain digne des télé-réalités saturées de pathos.
Et puis, dans le roman, Georges est supposé être le Chœur. C'est Samuel qui en a décidé ainsi. Mais Georges a un mauvais cœur, c'est la première faille, l'origine de l'échec. Au lieu de montrer Antigone, Georges prend part à la guerre, il se salit les mains et rencontre, comme tous les autres, une fin à la démesure de l'Histoire. Dans l'Antigone d'Anouilh, le chœur intervient au début du texte pour situer le contexte de la pièce et nous présenter les personnages qui y évoluent. Il réapparaît par la suite tout au long de la pièce pour faire avancer le récit ou amener un personnage à la réflexion... Le roman commence ainsi et se termine de la même façon; seulement entre-temps, le Choeur a pris part aux jouissances, il s'est perverti, mais peut être l'était-il déjà avant. En tout cas, il ne remplit pas son rôle et toute l'histoire s'en trouve déstabilisée.
Georges a failli
à sa mission. CHALANDON aussi. Les personnages ne sont pas de taille, les
rêveurs sont mièvres, le roman insuffisant, la démarche simpliste. La guerre ne
s'arrêtera pas pour le théâtre, il n'y aura pas de catharsis, le quatrième mur
ne protègera pas les spectateurs. Le quatrième mur est tombé.
«Tous ceux qui
avaient à mourir sont morts [...] Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux
qui vivent encore vont commencer à les oublier et à confondre leurs noms. C'est
fini.»
Nay El Achcar
Serge Harfouche
Serge Harfouche
Département de Lettres Françaises
Université Saint-Joseph - Beyrouth
Le cas Eduard Einstein
Laurent Seksik
Ed. Flammarion, 2013, 304
p.
Un génie pas comme les autres… Un
homme comme les autres.
Après
avoir vu le succès de son roman « Les derniers jours de Stefan
Zweig » traduit dans quinze langues et vendu à plus de cinquante mille
exemplaires, Laurent Seksik se penche
sur les événements dramatiques qui s’abattent sur la famille Einstein. A
quarante six ans, le médecin et écrivain Seksik publie une biographie d’Albert
Einstein, le génie du siècle connu pour son équation E=mc2. Cinq années après s’être
immiscé dans le corps et l’esprit de Zweig, il décide de revenir sur la piste des Einstein en jouant le rôle
du porte-voix d’Eduard Einstein, le cadet d’Albert. Ces deux romans présentent le même fond ; la montée du nazisme,
l’arrivée de la guerre, la persécution des Juifs et enfin, l’exil.
Encore
une fois, Seksik se montre passionné par les profils des personnages
historiques qui ont particulièrement enduré. Par le dessin de trois destins,
celui d’Eduard dans l’asile, de sa mère Mileva, ainsi que celui de son père
Albert, Seksik parvient à remettre en ordre les événements dramatiques de la
vie de chacun de ces trois personnages.
« Mon
fils est le seul problème qui demeure sans solution », écrit Albert
Einstein, exilé en Amérique, à un de ses correspondants. Effectivement, au
début des années 1930, Eduard a vingt ans quand sa mère le mène au Burghölzli, l’asile qui a été le lieu de travail de
plusieurs psychiatres tels que Carl Gustav Jung, Karl Abraham et bien d’autres. Eduard y
passera le reste de ses jours en blâmant son père tant
haï et tant admiré à la fois. Seksik nous entraîne dans ce monde confus
d’Eduard, ce jeune homme perturbé, attachant et diagnostiqué
« schizophrène ». D’autres chapitres ne seront consacrés qu’à
Mileva ; mère célibataire, dévouée, qui reste fidèle à son fils jusqu’à la
fin de sa vie. Enfin, le lecteur retrouve d’un autre côté, Albert Einstein, le mythe, le plus grand savant du XXème
siècle ; il s’agit, émotionnellement d’un père qui abandonne sa famille,
ignorant son rôle de père et surtout, demeurant impuissant face à son cadet.
Lorsqu’Eduard prend la parole, il est clair qu’il s’adresse à un ou à plusieurs psychologues ; en effet, à la cinquantième page, il affirme : « Vous pourrez me renseigner, le passé est votre lieu de travail ». De plus, Eduard est un enfant brillant qui avait achevé ses deux premières années d’études en médecine et qui rêvait d’être psychiatre. Sigmund Freud était son idole et les posters de celui-ci décoraient les deux chambres de la vie d’Eduard ; celle de son foyer à Zurich, ainsi que la chambre 259 qu’il occupait au Burghölzli. C’est pourquoi, ce roman peut être perçu sous plusieurs angles : un angle littéraire et un autre psychanalytique, ce dernier encore plus mis en avant par l’emploi du terme « cas » dans le titre du roman.
Lorsqu’Eduard prend la parole, il est clair qu’il s’adresse à un ou à plusieurs psychologues ; en effet, à la cinquantième page, il affirme : « Vous pourrez me renseigner, le passé est votre lieu de travail ». De plus, Eduard est un enfant brillant qui avait achevé ses deux premières années d’études en médecine et qui rêvait d’être psychiatre. Sigmund Freud était son idole et les posters de celui-ci décoraient les deux chambres de la vie d’Eduard ; celle de son foyer à Zurich, ainsi que la chambre 259 qu’il occupait au Burghölzli. C’est pourquoi, ce roman peut être perçu sous plusieurs angles : un angle littéraire et un autre psychanalytique, ce dernier encore plus mis en avant par l’emploi du terme « cas » dans le titre du roman.
« La haine c’est la colère des faibles»,
dit Alphonse Daudet . En effet, Eduard personnage principal, est un jeune homme
conscient du potentiel intellectuel de son père ; de ce fait, il le hait
encore plus. Mais, il n’existe qu’à travers ce « Christophe Colomb des
temps modernes » comme il l’affirme à la page 66. Il ne se considère pas
fou, et surtout pas inculte ; bien au contraire, il se défend en révélant
avoir lu Shakespeare à six ans, avoir « dévoré » Schopenhauer,
Nietzsche, Platon et surtout Freud. « Un haut degré d’ambition change des
gens raisonnables en fous qui déraisonnent » cite-t-il Kant à la page 22.
L’excès d’ambition, de culture, ont-elles vraiment été les causes de sa
présence au Burghölzli ? Ne serait-ce pas plutôt que ce jeune Eduard
essaie de se justifier et de se mettre en rivalité avec son père encore une
fois ? Voilà que le potentiel de l’auteur et sa capacité à se transposer
dans l’esprit d’Eduard exigent du lecteur d’oublier totalement la fiction qui
éclaire la réalité et la part d’imagination dans les dialogues. Ainsi, le roman
est une interprétation de faits réels, il ne correspond peut-être pas à la
réalité d’Eduard Einstein.
Par ailleurs, toute cette biographie du grand savant que
Seksik tisse minutieusement tout au long de son roman, passionne le lecteur,
dans la mesure où, le public contemporain est plutôt méconnaissant de toutes
les informations si personnelles de la vie d’Albert Einstein, ce célèbre et
génie du siècle. Ce roman nous plonge directement dans la vie intime d’un grand
homme; il fuit la Suisse en laissant derrière lui sa première femme Mileva et ses
deux enfants afin de rejoindre sa seconde femme, sa cousine Elsa, pour ensuite
s’exiler aux Etats-Unis. Le lecteur réussit ainsi à entrevoir en ce génie,
l’image d’un homme lesté de faiblesses et de failles. Effectivement, derrière
cette forte conscience politique et intellectuelle, se cache un père absent, un
homme incapable de faire face à la maladie de son fils, malgré son amour pour
lui. Rien, ni même les nazis, n’arrêteront à aucun moment Albert Einstein, sauf
son fils. Albert fera ses adieux à Eduard une fois pour toutes en 1933 et
ne le reverra plus jusqu’à sa mort en 1955. Le roman de Seksik peut par
ailleurs être perçu sous ce troisième angle : c’est un documentaire qui ne
fait qu’enrichir la culture du lecteur, lequel, dans une admiration totale du
génie, oublie la dimension humaine de celui-ci.
Finalement, le rapport de Laurent Seksik à la langue
française ainsi qu’à l’écriture, réalise une démystification du mythe d’Albert
Einstein tout en attachant le lecteur encore plus à cet homme. En effet, une
fois la lecture du roman achevée, le lecteur se sent rapproché d’Albert
Einstein, de cette figure que peu connaissent réellement. La relation qu’il
établit avec cette
figure du génie ne se base plus uniquement sur
la dimension scientifique et intellectuelle ; l’humanité du lecteur est
stimulée par Laurent Seksik. En fin de compte, les génies ont aussi leurs
faiblesses, ainsi que leurs immenses souffrances. Par conséquent, ayant à
l’esprit l’image universelle d’un grand savant, le lecteur ne peut sortir de
l’univers de ce roman, sans prendre conscience que ce savant est également
mari, père, mais avant tout homme.
Zahraa
Khatoun
Département
de Psychologie
Université
Saint-Joseph - Beyrouth
Le quatrième mur
Sorj
Chalandon
Ed. Grasset, 2013, 330 p.
Un hymne à la paix et à la fraternité
Le quatrième mur, roman de
Sorj Chalandon, raconte l’histoire de Georges, metteur en scène français,
projeté par hasard dans l’enfer de la guerre libanaise. Il est venu à Beyrouth
pour réaliser le rêve de son ami juif Samuel Akounis qui était sur le point de
mourir. Son but était de jouer Antigone D’Anouilh dans un cadre ruiné sur la
ligne de front… Alors que le pays est déchiré par la guerre, tout l’enjeu de
cette représentation est de réunir sur scène des acteurs issus de différents
horizons politiques et religieux, sinon des ennemis par leurs convictions et de
réussir à créer une harmonie scénique dans un décor en ruine, rassemblant ainsi
toutes les confessions dans un même rêve de paix.
Il est à noter qu’Antigone
est jouée en Février 1944, dans un Paris occupé par les Allemands ; elle était
autorisée à l’époque malgré le fait
qu’elle a été une pièce résistante, parce que c’est l’ordre de Créon qui va
régner à la fin. Parallèlement au Liban, cette pièce a été autorisée par les
Chefs de guerre, parce que chacun des adversaires a compris cette pièce à sa
manière et l’a interprétée selon ses propres points de vue confessionnels et
idéologiques.
D’ailleurs, Georges a
réussi de réunir les ennemis et d’obtenir un cessez-le-feu le temps de la
représentation. Mais les acteurs ont été massacrés l’un après l’autre enterrant
avec eux le rêve et le projet de paix… Cependant, dire que c’est un livre morne
et sans espoir est inacceptable. Au contraire, si Georges ne rentre pas chez
lui, s’il est sacrifié à la fin de ce roman, Sorj Chalandon se trouve
maintenant en paix, et a réussi à écrire ces pages « dans le silence de la paix
» comme l’avait dit lors d’une interview. Et il a pu à travers une simple
histoire d’un certain Georges à livrer un message de paix et de fraternité. La
preuve est que les pages consacrées à Sabra et Chatila, sont les chefs d’œuvre
d’une simplicité sans commentaire, une perception brute ; ce qui illustre
l’idée que Chalandon n’a pas voulu accuser un parti et défendre l’autre, ou
bien prendre part avec une communauté contre l’autre. Le lecteur se trouve
alors uni à la guerre dans la même souffrance et les mêmes ahurissements soit
de Georges, soit de Sorj Chalandon. La mort y est montrée comme un acte de
libération laissant le champ libre à des jours meilleurs permettant de mettre
en lumière des événements dramatiques qu’il ne faut pas oublier, non pas pour
garder les haines dans les cœurs, mais pour ne pas se perdre dans le labyrinthe
de cette guerre à nouveau. Au fil des lignes, nous avons senti l’homme blessé
par les horreurs de la guerre qu’il avait vécu
et nous avons découvert un style, une écriture et une description qui
sont les siens dans notre vie quotidienne…
Le quatrième mur, porte magnifiquement la guerre, mais laisse une
impression de paix, d’espoir et de pardon.
Finalement, la publication
de ce livre qui commence et se termine à « Tripoli le 27 octobre 1983 », en 21
/ 8 / 2013, coïncide avec deux explosions dans cette même ville (le 23 / 8 /
2013). Tout est revenu comme si la guerre était inévitable dans ce pays. La
paix est précaire comme ces deux heures de la représentation qui n’a pas eu
lieu dans un pays dont le peuple n’arrive pas à détruire les murs qui se
dressent séparant les frères… Mais aussi, ce roman rappelle que Beyrouth restera
à jamais une attraction culturelle malgré toutes les difficultés et toutes les
violences reflétant la volonté des Libanais de vivre et de partager ce désir
avec tout le monde…
Nisrine HAJJ CHÉHADÉ
Département de langue et littérature françaises
Faculté des Lettres
Université Arabe de Beyrouth
Arden
Frédéric Verger
Éd. Gallimard, 2013, 480p.
ARDEN : UN CADRE MYTHOLOGIQUE
Captivant ? Oui !
Rébarbatif ? Oui !
Descriptions à en couper le souffle
littéralement parlant. Descriptions dévoilant une maîtrise parfaite et poétique
de la métaphore. Comme une chasse au trésor, le lecteur courageux s’enfonce
dans la jungle foisonnante, paragraphes après paragraphes, pour finalement
aboutir à « l’histoire » au beau milieu d’une forêt. Là, se dresse un
hôtel luxueux, ex-sanatorium, qui porte en son flanc, l’oncle Alex, un
« Jupiter hôtelier », aux multiples facettes, aux multiples rôles
revêtus chaque soir « à la troisième mesure des Schatz-Walzer ».
Vagabond mélancolique, Salomon, l’éternel compère d’Alex, végétait. Son
existence languissante était palliée par de longues missives adressées à sa
fille Esther et par ces multiples opérettes qu’il composait avec Alex. Mais
leurs « imaginations étaient deux sœurs ennemies » jusqu’au jour où
il fallait qu’elles deviennent amies.
Premier roman d’un professeur de
lycée de 54 ans publié par Gallimard dans la collection « blanche », Arden
est un roman de 478 pages, sans chapitres qui mêle perspicacité, humour et
sensualité. Les personnages farfelus, surprenants, à la fois comiques et
touchants, vont faire face au nazisme qui les rattrape en 1944 dans l’hôtel
qu’ils habitent.
Frédéric Verger met en scène deux
amis, Alexandre de Rocoule et Salomon Lengyel, qui n’arrêtent pas, depuis 1917,
de concocter des opérettes qu’ils n’achèvent jamais, ne pouvant se mettre
d’accord sur la fin.
Alexandre,
grand séducteur, est gérant d’un luxueux hôtel situé dans la forêt d’Arden. Il
y vit avec sa femme, Irena, neurasthénique, ex-infirmière reconvertie dans
l'astrologie. Son ami, Salomon, tailleur, juif, veuf, dont le commerce dépérit,
a une fille Esther, dont la beauté captive le cœur d’Alexandre.
Tout ce petit monde vivant en
Marsovie, pays imaginaire près de la Hongrie, doit survivre durant la Seconde
Guerre mondiale, les nazis occupant l’hôtel qui porte dans ses caves tout un
orchestre juif et les Lengyel à l’insu des occupants.
Arriveront-ils à s’extirper de cette
situation mortelle ? Et si une opérette pouvait les sortir de ce pétrin ?
Résister à la violence en usant de l’art, arme dérisoire ou arme fatale ?
Au grincement de la politique, à la mécanique de la destruction répond une
mécanique musicale, clin d’œil érudit sur le genre Opérette. Cette mise en scène imaginée par deux
personnages perdus dans l’illusion, aux marges de la réalité n’est-elle pas en
fait la réalité qui se fait poétique pour apprendre à vivre ?
Le récit est très bien construit,
traversé de très belles descriptions, longues, raffinées et détaillées
accompagnées de métaphores successives. Il faut avoir le souffle suffisamment
ample pour lire ce pavé qui mêle absurde, tragique et comique. La vie des deux
excentriques se construit et se déconstruit au gré de leur activité futile et
vaine. L’Histoire devient tumulte infécond et l’héroïsme s’habille de sublimité
et d’authenticité dans une opérette.
Laurence Azar
Faculté des Lettres et des
Sciences Humaines
Université Libanaise – Section
1
Le quatrième mur
Sorj Chalandon
Ed. Grasset,
2013, 330 p.
Le quatrième mur est le dernier roman de l’écrivain, journaliste et
ex-reporter Sorj CHALANDON, publié en 2013 chez Grasset.
Il relate l’histoire d’un juif grec, metteur en scène
engagé contre toute dictature : Sam Akounis. Considérant le théâtre comme
son champ de bataille, il s’éprend d’une idée folle : jouer l’Antigone
d’Anouilh à Beyrouth. Séduit par la symbolique du fratricide qui caractérise le
phénomène de libanisation, il a voulu réunir les ennemis sur scène en enlevant
un acteur à chacun des camps bélligérants :
Antigone était palestinienne et sunnite. Hémon, son
fiancé, un druze du Chouf. Créon, roi de Thèbes et père d’Hémon, un maronite de
Gemmayzé. Les trois chiites avaient d’abord refusé de jouer les
« Gardes », personnages qu’ils jugeaient insignifiants. Pour
équilibrer, l’un d’eux est aussi devenu le page de Créon, l’autre avait accepté
d’être le « Messager ». Au metteur en scène de débrouiller. Une
vieille chiite avait aussi été choisie pour la reine Eurydice, femme de Créon.
« La nourrice était Chaldéenne et Ismène, sœur d’Antigone, catholique
arménienne ». (p.95)
Conscient qu’une pièce de théâtre ne pouvait pas faire
cesser le feu, Akounis ne demandait aux combattants qu’une trêve symbolique de
deux heures. Par miracle, il arrive à convaincre les milices, mais une maladie
incurable le retient à Paris. Ne voulant pas renoncer à son rêve, il confie à
son ami français George, heureux en ménage, père d’une fillette de deux ans, la
réalisation de sa chimérique vision…
Ne voulant pas contrarier son
ami mourant, George va-t-en guerre afin d’accomplir le projet dérisoire.
Cependant, la sinistre expédition finit par changer à jamais la vie de cet
activiste et défenseur de la cause palestinienne. Celui-ci se trouve exposé à
tous les périls, broyé, corps et âme, par les meules des deux machines
belliqueuses et infernales qui s’acharnent contre le pays des cèdres : la
guerre intestine et l’invasion israélienne.
Hanté par les images horrifiantes des atrocités qu’il a vécues,
poursuivi par le spectre de la mort, il se trouve irréversiblement abîmé. Pour
lui, la vie en rose a perdu son attrait , elle est même devenue honteuse,
et n’ayant plus d’yeux que pour le morose, il se retrouve au Liban, entraîné
par l’odeur du trépas et du sang,…
Des spectres, un à un, sortis des derniers recoins de
ténèbres. Une ombre a boîté vers moi, elle a pris mon bras, m’a entraîné. Les
yeux secs, elle hurlait. Deux vieillards barraient l’entrée d’une porte
cochère, gorge ouverte. Un homme, sa femme voile serré autour du cou comme une
corde à tuer. J’ai reculé brutalement. Je les profanais. Je marchais dans du
sang humain. Je suis allé à la porte à reculons. La rue était en larmes. (p.263)
Ce roman passionnant, émouvant de CHALANDON fera date
dans l’histoire de la littérature contemporaine. Son sujet attrayant est
toujours d’actualité. Son style séduisant est rythmé : lent par moment,
saccadé et haletant par d’autres. Il décrit avec la même adresse l’épouvante,
l’hébétement, l’abomination causés par le massacre horrible de Sabra et Chatila,
et l’égarement parisien du personnage principal corrompu par l’atrocité au
point de ne plus pouvoir vivre la paix.
Que des enfants avaient été hachés, dépecés, démembrés,
écrasés, à coup de pierres. Et ma fille pleurait pour une putain de
glace ? C’était ça son drame ? Une boule de chocolat tombée d’un
cornet de biscuit ? Les misères de la paix me dégoûtaient. (p.297)
Le quatrième mur n’est pas le premier roman politique de l’écrivain
qui profite de son expérience de reporter de trente ans pour relater les
guerres : Son troisième roman Mon traitre publié en 2008, s’inspire
de la guerre irlandaise. Dans Le quatrième mur, il décrit d’un œil
connaisseur, les milices libanaises et fait preuve d’analyse fine et malicieuse
de la psychologie des différentes confessions qui cohabitaient au Liban dans
les années quatre-vingt.
Œuvre saisissante par son intertextualité, récit où le
lyrique, le poétique, l’épique et le tragique vont de concert, ce roman est à
la fois, un témoignage de l’absurdité de la guerre, un cri de désespoir et un
hymne à la paix, à la fraternité et à la tolérance. Il est aussi une
exhortation à la sagesse et à l’humanisme. Pourvu que le pouvoir cathartique de
la tragédie puisse se frayer un chemin vers les âmes belliqueuses, à bon
entendeur salut !
Rana Tfayli
Faculté des Lettres et des
Sciences Humaines
Université Libanaise – Section
1
Palladium
Boris Razon
Ed. Stock, 2013, 474 p.
Palladium, le récit autobiographique d’un journaliste de 29 ans,
rédacteur en chef du Monde.fr, croquant la vie à pleines dents jusqu’au jour où
tout s’écroule. Atteint du syndrome de Guillain Barré, Boris voit ses gisements
de bonheur s’atrophier brutalement. En quelques jours il est totalement coupé
des siens et de son monde. Relié en permanence à des machines et perfusé
d’antibiotiques et de médicaments divers, il subit une métamorphose qui
s’inscrit dans la vision kafkaïenne, ainsi décrite ;
« La métamorphose avait eu lieu. Immobile,
imperturbable, impénétrable, derrière mes yeux paralysés, j’étais devenu le
Sphinx ».
En effet, tandis qu’il voguait
dans d’autres sphères où les indicateurs spatio-temporels conventionnels
éclataient au profit d’un nouvel ordre, happé par le chaos, le narrateur est
conscient d’une seule vérité ; il ne pourrait plus jamais récupérer
l’ancien Boris qui s’activait en lui. Oui, il l’a subrepticement perdu au
détour d’une rue, à un croisement vital. Désormais, « c’était lui ou
moi, lui et sa beauté solaire, sa joie de vivre, son plaisir débordant à fumer,
à boire, à prendre tout ce qui était devant lui […] ; ou moi, boiteux, handicapé,
insensible perdu dans d’insondables abîmes… »
Un capharnaüm, voilà ce qu’est
devenu son monde anarchique ponctué des extraits du dossier médical et différenciés du récit même par une transcription
scripturale moins impressionnante. Ils sont pourtant pompeux et complexes car
jalonnés de ce jargon médical titubant et indécis.
Tout au long de cette expérience
lancinante, le lecteur demeure le seul interlocuteur, son grand confident. Il
est par conséquent le témoin d’une descente rocambolesque aux enfers. Un
itinéraire infernal mettant le protagoniste souffrant en face des ses
épouvantes les plus profondes, de ses hantises les plus accaparantes. C’est le
commencement d’une grande épopée de
cauchemars illustrés par des récits burlesques énormément mouvementés,
paradoxalement opposés à son état tétraplégique, aphasique et ô combien
inerte ! Les caractères bêtes et méchants surgissent de partout :
monstres, racistes, artificiers trompeurs, putes… C’est un cri qu’il
lance :
« Une fois que tu as franchi LE passage, tu le sais.
Mais tu es le grand orchestrateur, tout ce que tu croises à l’intérieur vient
de toi ».
Au sein de son Hadès où l’on
confiait les tenues des morts aux chiens, mythologie canine s’apparentant aux
mauvais présages, il est confronté à une réalité amère : dans tout Être
somnole une bête féroce, un Unheimliche ou une inquiétante étrangeté capable
d’ébranler la rationalité d’une vie normale. L’étrangeté n’est autre qu’une
figure désagréable, angoissante et dangereuse, le reflet de soi-même, le tout
autre Moi tapi dans l’ombre, doté d’un potentiel exterminateur, prêt à surgir à
tout moment afin de saccager les châteaux de sable patiemment élaborés au fil
des années. L’auteur est rongé par cette lassitude consternante : « D’où
vient-elle cette violence que j’ai libérée ? Le meurtrier a-t-il toujours
été là ou est-ce la maladie qui l’a crée ? »
Enfin, au milieu de la
jubilation extravertie d’un inconscient débridé apparaissent les trois
instances de la figure triangulaire féminine : la mère dont la ferveur
l’incitait à psalmodier en Yiddish, histoire d’attirer l’attention et la
clémence de Dieu, l’amante symbolisant la sainte dans Palladium, puisque la
femme en question, Caroline, se dresse comme un roc sur lequel s’appuie Boris
pendant les six mois de calvaire. Aimante et dévouée elle accepte de traverser
avec lui le chemin de croix en initiatrice à la vie. Mais il y a surtout la
figure de la pute, menée par ses impulsions sexuelles, cohabitant avec les
monstres en Enfer, sans cesse omniprésente dans ses hallucinations
cauchemardesques, continuellement en train de le pousser à la tentation, belle
mais venimeuse. Réminiscence d’une tradition judéo-chrétienne, ou application
du topos de la psychologie masculine ? Quoi qu’il en soit, Boris Razon,
dans ses fabulations, dévoile la complexité de la nature humaine. Après tout, il
l’a maintes fois répété :
« La douleur est un langage comme l’inconscient ».
Michèle
Matar
Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines
Université Libanaise – Section
1
Il faut beaucoup aimer les
hommes
Marie Darrieussecq
Ed. P.O.L, 2013, 320 p.
Darrieussecq, à la rencontre
d’un homme impossible…
Histoire d’amour ou d’attente? De réalité ou d’imaginaire?
Serait-ce celle d’un rêve féminin qui finit avant même de commencer ?
C’est dans ce monde incertain que Marie Darrieussecq, auteur de Il faut
beaucoup aimer les hommes (Paris, P.O.L éditeur, 2013) nous emporte.
Par sa verve intarissable, son style doux, piquant,
radical et énergétique, par ses thèmes audacieux qui brisent les tabous et
franchissent l’interdit, l’auteur de Truismes (1996) nous invite à découvrir dans son treizième
roman un monde passionnant, brûlant, oscillant entre les tam-tam d’une Afrique
féerique et ceux d’un érotisme exacerbant, obsédant et angoissant. Solange
l’actrice française, petite fille déjà femme dans Clèves (2011), tombe
amoureuse de Kouhouesso, un mystérieux acteur canadien d’origine camerounaise,
rêvant de réaliser Au cœur des ténèbres de Conrad en Afrique.
C’est au sein du tournage filmique, financé par Oprah
Winfrey et Georges Clooney, qu’on est amené à découvrir l’histoire de
l’altérité, les stéréotypes sur la séparation et le mélange des races, les interrogations
sur le rapport de l’homme à ses origines, voire à ses racines, les secrets
intimes et inavoués de la femme, ses rêves, ses désirs et ses désolations,
ainsi que les clichés dont est taxé le couple mixte : « Est-ce
que Kouhouesso c'est les Noirs? Comme elle, elle serait les basques? Est-ce
qu'elle était les blancs? Est-ce qu'il la voyait comme une blanche? ».
Darieussecq raconte t-elle donc l'histoire du racisme ? Pas forcément. Le
thème reste pourtant fortement présent tel un arrière plan, faisant ainsi de
Solange une femme en attente d’un « homme dont ses ancêtres à elle avaient
asservi et massacré les ancêtres ».
Dans ce roman fabuleux dont le titre est emprunté à
Marguerite Duras ( qui écrit dans La Vie matérielle : « Il faut
beaucoup aimer les hommes. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce
n’est pas possible on ne peut pas les supporter »), tout se mêle et se
superpose. La voix du narrateur se confond avec celle de Solange ;
l’action romanesque s’intègre, parfois d’une façon trop exagérée, dans les
scènes cinématographiques ; et l’attente exaspérante de Solange devient
celle du lecteur : « Attendre est une maladie. Une maladie mentale.
Souvent féminine ». Mais attendre quoi et qui ? Kouhouesso, cet
« homme impossible » ? Attendre d’être enfin « la
promise » du film cinématographique ou plutôt celle du
cinéaste ? C’est dans les méandres de cette attente qui devient
attentisme, qu’on arrive peu à peu à comprendre (ou peut-être pas) cette
Solange, étrangement familière dès le début de la narration, sa sensibilité,
son monde imaginaire et son désir de femme sensuelle à la recherche de
l’impossible.
Et c’est justement là où réside
l’art de Darrieussecq : dans sa capacité de mêler le lecteur au personnage
principal à tel point que les deux deviennent un seul être, une seule âme.
Ainsi, le lecteur participe-t-il à chaque étape de la vie de Solange, à
chacune de ses pensées, à chacun de ses messages, à chacun des "t" et
"d" de Kouhouesso étrangement prononcés, jusqu’aux "dam dam
dam" de ses très hauts talons. C’est aussi à travers cette étrange
intimité qu’on découvre l'Afrique profonde, cette « jungle fever »,
le petit Congo de Brazzaville, et le grand de Kinshasa. Toute la culture et
l’art africains sont chantés dans un voyage féerique, rappelant ainsi Césaire,
Senghor, Soyinka, Fanon et même le roi d’Ifé. Dans le brouhaha de ce voyage
tumultueux allant de Hollywood à Paris, et de là en Afrique, au long des
trajets pénibles dans la forêt impénétrable, des séparations et des retours,
les difficultés entre le couple s’enchaînent et la distance s’accentue. Elle ne
veut que lui, son monde, son Afrique ; et lui, ne vit que dans le désir
d’adapter son film et de lui trouver une équipe et un financement. Entre
l’attente d’un message, d’une rencontre et d’un amour qui ne se déclare pas,
Solange reste prisonnière du tempo lent de leur relation, n’ayant comme espoir
et comme joie paradoxalement douloureuse « ses noix » [Auteur in1] et « bien des choses ». En fait, « au
bout de combien de temps se rompt le lien ? Se dénoue une
histoire ? » On ne peux le dire!
Mais la question cruciale reste
la suivante : Solange ne serait-elle à la fin rien qu’une scène qui ne se
réalise pas ? Le reste d’un fil défait ? Peu importe, car après tout,
il faut toujours tourner la page…
Lama Farhat
Faculté des Lettres et des
Sciences Humaines
Département de Français
Université Libanaise (Section 1)
[Auteur in1]A
mieux placer dans la phrase pour en rendre le sens, ce mot seul ne dénote pas un
sens assez precis pour le lecteur, noix comme miettes?
Le
quatrième mur
Sorj Chalandon Ed.
Grasset, 2013, 330 p.
La trêve
"Jure-moi
de jouer Antigone coûte que coûte". Réunir les communautés en guerre le
temps d'une pièce de théâtre, retirer un partisan de chaque camp pour les
rassembler autour de ce projet, c'était la mission de Georges, un jeune
militant gauchiste parisien. Ce dernier, pour exaucer le rêve de son ami Samuel
Akounis, s'engage dans une aventure périlleuse. Il se dépêtre dans les flaques
de sang qui noient le Liban pour monter l'Antigone de Jean Anouilh sur
la ligne de démarcation à Beyrouth en espérant qu'on baissera les armes le
temps de la pièce. Georges réalisera-t-il l'idée passionnée et extravagante de
son ami Sam ? Pourra-t-il arrêter les affres de la guerre pour que la paix
règne au moins quelques jours ?
Sorj
Chalandon a conçu le projet insolite de nouer le destin de ses personnages, le
liant par la suite à des illusions de paix et aux aspirations d'un homme
ambitieux qui envisage la vie à travers son art privilégié : le théâtre. La
mise en scène réunit Georges et Samuel, les deux protagonistes évoluant dans un
contexte à la fois paisible et bruyant, doux et violent, réel et fictif. Leurs
mains s'enlacent au nom de la fraternité. Longtemps grabataire, Sam décède, son
rêve ne s'embarque pas avec lui dans les flots de l'abandon. Il se perpétue
dans la promesse de Georges, dans les masques que porteront les
"belligérants" libanais pour jouer Antigone, dans la volonté
humaine d'étouffer les cris de la guerre et d'amplifier la quiétude silencieuse
de la paix. Sorj Chalandon confronte ses personnages et ses lecteurs à l'énigme
de l'existence humaine, au désir humain entravé par une réalité à laquelle ils
ne peuvent échapper.
Le
théâtre parait dans ce roman comme un protagoniste de la pièce d'Anouilh. Il
accomplit l'impossible, réunit des ennemis autour d'un projet commun et les
invite à lire un texte qui ne les implique pas directement. Trois murs, des
ruines c'est le décor du théâtre où Georges va monter la pièce. Les combattants
seront les acteurs qui se réfugient derrière le quatrième mur pour jouer leurs
rôles jusqu'au bout. C'est Antigone qui aime Hémon mais c'est aussi une
palestinienne amoureuse d'un druze. Ce sont les gardes qui accompagnent le roi
Créon mais c'est aussi des chiites qui veillent sur un maronite.
En
fait le choix de cette pièce est symbolique. Il incarne la faculté de dire non,
de se révolter au point de choisir la mort pour ne pas trahir ses convictions.
Les ennemis, une fois en scène, vont arracher leurs masques de guerre tachés de
sang et mettre les voiles de la tragédie sublime. La guerre tente de maintenir
ses masques en essayant de bouleverser les plans de Georges, de froisser ses
notes et de brûler ses papiers laissant le théâtre désert pour que le vide
navigue entre les ruines sous l'éclat des balles et le sifflement des bombes. A
son tour, le théâtre tente de lever les voiles afin d'ensorceler les esprits,
d'éblouir le regard des spectateurs par la lumière bleutée des projecteurs, de
faire baisser les armes et de faire savourer la paix le temps du spectacle.
Avec
sa plume souple, précise, encombrée d'émotions et de sensations, Sorj Chalandon
tisse dans son roman deux mondes : l'un pacifique et l'autre agressif.
L'intensité de son écriture nous transpose dans le monde de la guerre. Nous
vivons toutes ses peines, nous éprouvons toutes ses douleurs. Nous pénétrons
non seulement dans les rues dévastées et les maisons éventrées mais aussi au
cœur des meurtrissures de la chair et des blessures de l'esprit.
La
guerre dévastait Beyrouth dans les années 1980 et criblait sans distinction la
chair des innocents et des criminels offrant au narrateur des mots munis d'une
lame tranchante qui cible le cœur des lecteurs et nourrit leur colère et leur
compassion. Seule l'écriture comble le
vide et remplit ce gouffre entre rêve et réalité, entre vicissitudes et aspirations. Ce récit rend éternelle la
perspective d'une paix rêvée, le sauvetage potentiel d'une population en proie
aux affres de sa propre guerre et de celle des autres.
Ronza Hachem
Département
de langue et littérature françaises
Faculté des lettres et des sciences humaines (section 2 / Fanar) Université
Libanaise
Arden
Frédéric Verger
Éd. Gallimard, 2013, 480p.
Arden est
une tragédie comique dans le royaume des opérettes. C'est le premier roman de
Frédéric Verger dans lequel le lecteur plonge dans un récit romanesque à portée
historique où l'art du portrait s'exhibe ! L’auteur nous livre, grâce à son
talent littéraire, l'histoire d’une amitié qui se déroule au moment de la
Seconde Guerre mondiale en Marsovie. L’histoire se passe entre Alexandre de
Rocoule qui dirige l'hôtel d'Arden et Salomon Lengyel, un veuf mélancolique.
Malgré les caractères qui opposent ces deux amis, ils partagent, tout de même,
une passion pour l'opérette. C’est pour cette raison que ces deux compères ont
écrit plusieurs pièces en trois actes, toujours inachevées, puisqu'ils ne se
mettent jamais d'accord sur la fin. Quand le nazisme envahit la Marsovie, les
persécutions contre les Juifs commencent et l'antisémitisme menace alors Salomon et sa fille Esther dont Alexandre est tombé
amoureux. La seule issue réside dans la composition d'une dernière opérette.
Ce qui nous attire le plus dans ce
roman c'est surtout l'art du portrait et de la description parce que les
détails physiques défilent, tout comme les détails vestimentaires et naturels
qui suscitent l'attention permanente du lecteur. Le roman est surtout
intéressant parce que l'humour et la sensualité sont mêlés constamment. La richesse des détails historiques
de Frédéric VERGER vient s'ajouter à son écriture. En effet, l’auteur a puisé
dans l'Histoire la matière de son roman mais il a innové subtilement grâce à la
richesse lexicale et métaphorique : Arden incarne une forêt et une foule
de sensations et l'opéra, symbole du bruit, nous rappelle l'ombre de la guerre
mais permet aussi de s'évader par l'imagination et la fiction.
Ce récit vivant où l'ironie se mêle
à l'Histoire tragique nous charme et nous pousse à encourager les lecteurs à le
lire.
RoubaTrad,
Département de Français
Université Libanaise - Section 3
Les
Evaporés
Thomas
B. Reverdy
Ed.
Flammarion, 2013, 302 p.
Les Évaporés: L'Être dans un monde où
on n’est plus
Thomas
B. Reverdy est un jeune romancier français connu pour son style raffiné et
poétique. Dans ses romans il aborde des thèmes qui répondent à des questions
humaines puisées du réel et inspirées directement du vécu. Des questions comme
le deuil, l’amitié, l’amour,…
De ses travaux illustres citons: L’Envers
du monde, La Montée des eaux… à côté bien sûr de l’œuvre qu’on
cherche à étudier et qui s’intitule Les Evaporés (Flammarion,
2013).
Les
Évaporés se
présente, au prime abord, telle l’histoire d’un monde qui se déchire les
entrailles. Des gens déshérités privés de leur humanité, des politiques qui
structurent les catastrophes, des agents qui investissent les tragédies… sont
peints à tort et à travers. Dans ce monde où la conscience est tourmentée par
l’avidité insaturée, le choix de devenir un « Johatsu », un
« évaporé » sera opté pour le ne plus devenir.
Les
scènes de ce roman se déroulent, effectivement au Nippon (« Japon »),
après le tsunami de Tohoku suivi du désastre nucléaire de Fukushima, où un
grand nombre de japonais s’est effacé à la fois de la carte spatiale et de la
géographie humaine. Ce qui explique pourquoi les thèmes de ce roman sont
branchés sur des sujets multiples notamment ceux de l’amour, du désespoir, de
la famille, du sacrifice… etc.
Ainsi
une lecture sage du monde du troisième millénaire élucide les interprétations
et analyses intradiégétiques[1]
de l’écrivain-narrateur, basées sur des observations et recherches personnelles
menées sur des fonds solides, et étendues sur une durée d’à peu près un an.
Dans
un monde pareil, les théories convergent, et en conclusion celle du Big One
éclate: c’est le grand poisson qui mange le plus petit et ainsi de suite. En
somme, le peuple, placé au dernier rang de la chaine économique, sera condamné
à être pour toujours, le premier et seul parti à payer.
Dans
Les Évaporés, Kaze, qui est le
personnage principal, n’est qu’un homme parmi d’autres qui a décidé de ne plus
«mettre les chaussons». Cela signifie un mode de vie embrassé par un nombre
important de malchanceux qui peuplent l’archipel. Cependant cet homme a été le
seul parmi cette majorité désespérée, à inspecter les raisons derrière les
évolutions qui ont inspiré au patron de menacer la vie de notre héros d’un
côté, et qui, de l’autre côté, l’ont obligé à quitter son foyer et à plonger
dans l’inquiétude son épouse et sa fille. Dès lors, il se soustrait à vie
normale et sereine pour protéger sa famille et en plus pour commencer
discrètement une quête qui va s’ouvrir sur des chapitres inattendus et qui va
déployer devant le lecteur les volets d’une conspiration instiguée contre les
impuissants du peuple par ceux qui dirigent le pouvoir dans le pays.
Des
hypothèses, autant cruelles que vraies, qui élucident le fait que sur cette
planète rien n’est plus fortuit, même les catastrophes naturelles seront
détournées pour le bien d'un anonyme et fort puissant.
Des
versions de la réalité qui finissent par être relatées avec un style poétique
cherchant à atténuer l’effet du choc et accentuant le degré de l’engagement du
jeune écrivain dans la cause japonaise. Cette cause qui se voit enracinée par
l’encre et la cendre dans le blanc et le noir de chacune des parties de
l’œuvre. Même l’érotisme dans ce livre ne peut faire virer du but principal,
l’intention de l’écrivain de distraire à la fois son crayon et sa propre
imagination, en premier lieu et le souffle tendu du lecteur en second lieu. Ce
livre, trempé dans le drame et les cris des gens qui s’éteignent, probablement
dans un univers parallèle, sera jugé morbide, puisque l’homme-lecteur
contemporain, qui se trouve déjà baigné dans la détresse du quotidien et la
monotonie de l’imprévu, cherche, désormais, dans le livre, un point de fuite
vers ce monde virtuel de la littérature qui est supposé être calme et paisible.
Par le biais de ses lectures, l’homme cherche à dresser l’envers de son monde
de tous les jours.
L’amour
et les aventures d’un certain luxe seront un appui pour l’écrivain, qui
viennent mettre une petite pause à l’écoulement superposé des crises et
catastrophes contre lesquelles se heurtent personnages, auteur et lecteur
(impliqué directement, dans le flou d’une condition humaine crue projetée par
l’auteur qui se déborde hors du temps-ici et de l’espace-maintenant, pour
l’interpeller, lui, ce destinataire futur et absent).
En
fin de compte, dans les différentes étapes du roman, coïncide la morale humaine
qui se dissout petit à petit au profit du géant des papiers d’échange. Bref
dans un monde pareil, l’unique cure sera de laisser choir tous les risques de
perte d’humanité et de s’évaporer. Une option difficile à adopter, mais le
rythme d[Auteur in1] e vivre impose finalement ses règles bien que nos héros
aient refusé de capituler au détriment de leur propre bonheur et de leur
sécurité physique et morale. Or, dans certaines batailles, surtout celles
vouées à être perdues, celles semblables à la bataille menée par nos évaporés,
le meilleur remède sera de préserver sa dignité intacte et de sauvegarder, sain
et sauf, le peu qui reste de l’Homme.
Samar
NAJJAR
Faculté
des Lettres et des Sciences humaines
Université
Libanaise - Section 3
Le quatrième mur
Sorj Chalandon
Ed. Grasset, 2013, 330 p
Le quatrième mur : une rétrospective dans l’interdit
Guerre,
Souffrance, Haine, Résistance, Amour et Mort… des thèmes pervers aptes à livrer
une vie, n’importe quelle vie, à l’abîme final (notons le cas de Georges, notre
protagoniste).
Dans
Le quatrième mur, Sorj Chalandon, le journaliste d’essence se transforme
en écrivain de grande qualité. Cet ancien reporter de la guerre libanaise, est
l’auteur de cinq romans chez Grasset dont Une Promesse, qui a reçu le
prix Médicis en 2006, et récemment Le quatrième mur (Grasset, 2013).
A
travers ce roman, se trouve affectée une question fondamentale qui est celle
des valeurs : liberté, égalité et fraternité. En résumé nous sommes devant les
emblèmes dorés de la Révolution Française.
En
effet, d’après le génie civil quatre murs fondent une habitation et mettent
l’homme à l’abri du vide. Cependant, dans cette œuvre, le mur, le quatrième
qui, en technique théâtrale, est supposé courir en support aux
acteurs, sera une enceinte derrière laquelle les hommes s’engluent dans
le néant. Ce mur dépassera, d’emblée, ses dimensions de foyer. Il se veut une
barrière qui côtoie avec aversion, inimitié et animosité. Aussitôt et à cause
de l’ambiance générale transie par une froideur affective, les hommes ne
chutent plus sous l’effet de la gravité, c’est sous le poids d’une haine
viscérale que tombent l’un après l’autre les victimes de l’inertie spirituelle,
et qui ne peuvent être nommées
autrement. Telle une guerre barbare, prétendue être la guerre des autres en
terre libanaise, et durant la période où l’atrocité atteint son paroxysme,
Samuel, le grec juif et Georges le communiste français, cherchent à faire
cracher le grand NON de l’Antigone face à cette
partition cruelle, et de donner une digne sépulture à une société schizophrène
qu’est la société libanaise. Une double trêve sera, par conséquent, implorée
grâce à ce drame dans sa version libanaise. Au prime abord, ce drame est
invoqué telle une accalmie dans ce tourment religieux; une palestinienne, un
druze, des musulmans et des chrétiens seront les pionniers de cet espoir d’une
paix provisoire. Dans une seconde perspective, c’est une suspension du décret
de mort prononcé contre tout pacifiste désirant l’avènement du terme de ce
NON-sens monstrueux.
Ainsi
le quatrième mur s’écroulera également sur l’Antigone, le Hémon, et le
metteur en scène, de même que les répercussions de cet effondrement s’abattront
prodigieusement sur la société internationale et sur la conscience humaine. Le
résultat de cette situation dépravée imposée par la foule de militants éventrée
de toute morale, est un pays tout entier qui empeste le sang, et dont
l’ensemble des déshérités sera condamné à se perdre dans l’abandon dernier.
CHALANDON, par le biais de Georges, son double, brandit
haut la bannière de son objection contre toute offense qui s’attaque aux
soubassements de continuité et de dignité autour desquels virevolte la raison
humaine prônant vivre en symbiose. Pour Georges, retourner aux rites normaux
d’une vie saine après avoir témoigné de toute sorte de pratiques inhumaines,
sera une interdiction inconsciente, une défense immanente de son for intérieur.
Dans sa société mère, l’intellect menait sa guerre à lui. Il n’arrive plus à
s’attacher à avec sa propre famille ni à s’intégrer avec son entourage social.
Ainsi vers la fin, pour se procurer un terrain fertile pour la présentation d’Antigone,
il a jugé les phalangistes à l’instar de Créon, il a tué tel Etéocle, et il s’est fait tuer à la façon d’Antigone
juste pour aller au bout tout en défendant sa cause extrême qui était préservée
dans un petit sac contenant une portion de terre importée de la Palestine.
C’est brusquement qu’il va comprendre que ce sont les faits qui font l’histoire
et que les théories et les slogans restent des paroles vouées à l’oubli.
En
tant que tel, Georges, l’étudiant permanent, le français, sera la pièce de
tragédie qui a bravé la loi d’isolement et qui a osé déclarer l’agonie des
valeurs qui feront l’universalité de l’Homme, surtout lors de la scène de la
glace quand il va emmener sa fille en promenade. Selon lui, le problème n’est
plus un slogan à ruminer, ni plus un hymne à répéter, le malaise réside dans
l’amour propre d’un peuple qui s’écrase quotidiennement.
En fin de compte Georges s’est embarqué dans la
cause palestinienne et a renié son monde de jeune père et mari pour un Rien.
Or, sa mort sonne comme une alerte lancée de l’Homme contemporain qui git dans
le tréfonds de chacun de nous. Cet Homme qui fléchit sous l’amas de ce qui est
assumé être progrès. C’est l’Antigone à l’intérieur de chacun de nous
qui est invitée à dire son NON contre les folies infinies et bannir la
destruction morale de l’Homme du XXIe s qui en découle. La société
libanaise lésée par des guerres et des batailles filées et qui n’arrive jusqu’à
présent à se soulever du gouffre où on l’a enfouie, en est le meilleur exemple.
Samar NAJJAR
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Université Libanaise - Section 3
Le cas Eduard Einstein
Laurent Seksik
Ed. Flammarion, 2013, 304
p.
Eduard Einstein: le cas
d’une famille ratée
Laurent
SEKSIK, dans Le cas Eduard Einstein, relate la partie perdue et perdante
de la vie du génie du siècle, le père de la relativité, Albert Einstein. Dans
son livre, SEKSIK s’enthousiasme à conter l’histoire de la trinité Einstein,
une trinité cernée par la misère, et ayant comme point faible, le dérèglement
de l’esprit de son membre cadet. Par
conséquent, l’auteur s’est appliqué à verser sur le blanc des pages le cas de
cette famille scientifique qui s’est déboussolée à cause d’une jalousie sans
mesure de la mère et d’une ambition sans limite du père. De cela résulte cette
histoire, qui était destinée à être un conte de fée (selon l’imagination
d’Eduard) où le bonheur règnera jusqu'à la fin. Au lieu de cette version
édulcorée, elle se termine par un exil dévastateur, où l’un déloge le plus loin
possible de l’autre, un exil qui durera jusqu’aux jours où tous se rencontrent sous le dôme de l’éternité.
Une fois le roman lu, le lecteur ne tardera pas à se rendre compte que ce n’est
plus désormais Le cas Eduard Einstein, mais également celui de Mileva
Maric Einstein et son malheur, d’Albert Einstein et ses gènes brisés, et
d’Eduard Einstein et sa détérioration mentale continue.
Notre
auteur est un médecin et un critique littéraire en même temps. Ainsi Laurent
SEKSIK, se met à l’unisson des extrêmes cherchant peut être à s’évader de
l’exactitude de la science grâce à ses écritures littéraires abordées telle une
distraction qui implore le plus profond chez son lecteur jusqu’à le faire
flotter en irruption lacrymale. Sept romans résument la carrière de l’écrivain
et qui sont selon l’ordre de parution: Les Mauvaises pensées, La
Folle histoire, La Consultation, Albert Einstein, Les
derniers jours de Stefan Zweig, La Légende des fils, et dernièrement
Le cas Eduard Einstein (Flammarion, 2013). Une production accueillie par
l’admiration des lecteurs et des critiques littéraires.
Ainsi
les épisodes de la vie d’Eduard tachetés d’une forme de folie qui entraine son
enfermement pour la vie, ne sera pas le premier essai sur Einstein. Or cette
œuvre, illustre l’enfant ébranlé par le divorce de ses parents, muni d’une
personnalité qui se dégrade au fil du temps et la disparition des bien-aimés.
Eduard, aux antipodes de son frère aîné Hans-Albert, regrette les beaux moments
où ils étaient une belle famille, une famille complète: un père, une mère, des
enfants marchant côte à côte, illuminant par leur joie les rues de la capitale
suisse. Cependant nul ne saurait prévoir le malheur qui allait s’abattre sur
les gens et qui de fond en comble, bouleversera leur vie, leurs caractères.
L’adolescent doué, le fils à papa réservé pour un futur brillant, ne cessera de
jouer les scènes du passé, et se brouillera à jamais avec son présent sombre et
aliéné. Survivre à l’absence des êtres chers lui sera couteux surtout la perte
de sa mère, qui était son seul soutien. Pour cette raison il s’invente un petit
univers, dont la seule faculté d’accès, sera sa schizophrénie.
En
adoptant le manque d’amour et de tendresse, l’abandon, la fuite, la
schizophrénie, l’isolement, l’enfance éternelle, la folie…. comme des thèmes
capitaux pour son roman, SEKSIK écrit le monde du petit Eduard chavirant sous l’effet d’une imagination
fertile, vers la seconde rive du monde, celle d’un monde tissé de rêve.
Deux
vies sont menées par Einstein le cadet, la première à l’asile de Burgholzli où
il est délaissé par le bonheur, alors que la seconde sera dictée par le passé à
l’abri de la trahison du père, la souffrance de la mère et l’abandon du frère.
Toutefois, le fils blâme son père uniquement, pour ses séries de déchéances
mentales qui l’ont retenu dans sa folie, puisqu’il s’est soudain éclipsé du
portrait familial tout en laissant là-bas, sur le vieux continent un monde qui
tourne sans son fils. Enfin, le roman ne parle plus d’Einstein le grand, le
physicien, le juif qui a pris la fuite pour ne pas être décapité, c’est plutôt
de l’homme inquiet, de l’homme détruit par les syndromes d’une paternité
décevante, le père persécuté par le sentiment de culpabilité. Sentiment qui l’a
accompagné dès son dernier entretien avec son cadet, et qui a plongé son
regard, même sa vie entière dans un type de tristesse qui s’attaque
généralement à ce petit organe logé entre les cotes, et qui a, dans le cas
Einstein, ménagé la délivrance du génie au spleen dévorant, de sa prospérité,
de sa santé. Cette même anxiété-muette a été la
raison derrière la détention du fils, ce médecin inachevé, ce grand bébé
cristallisé par le portrait de la demi-famille, et qui lui a fait retrouver
d’un seul coup tout son âge déserté.
Samar
NAJJAR
Faculté
des Lettres et des Sciences humaines
Université
Libanaise - Section 3
Petites scènes capitales
Sylvie Germain
Ed. Albin
Michel, 2013, 247 p.
Cosette au XXIème siècle !
Jusqu'à
l'âge de cinq ans, la petite Lili vit seule avec son papa, sa mère n'était
qu'un visage sur une vieille photo. Un jour son père rencontre Viviane qui est
déjà mère de quatre enfants et décide de l'épouser. De ce mariage est née une nouvelle famille dans laquelle Lili ne
trouve pas sa place. Elle n'est plus enfant unique puisqu’elle doit partager sa
vie avec d’autres. Au fil du temps, cette famille recomposée se décompose.
Lili, l'enfant surnuméraire, va grandir
en posant des questions sans réponses. Sa naissance serait- elle une erreur ?
Sylvie GERMAIN est un écrivain français qui a suivi des
études de philosophie. Son mémoire de maîtrise porte sur la notion d'ascèse
dans la mystique chrétienne et sa thèse de doctorat concerne le visage humain.
Elle a exercé plusieurs activités professionnelles documentaliste,
fonctionnaire, professeur… Depuis 1994, elle fait partie des Présidents
d'honneur du Prix Marguerite Duras.
Dans ce roman le style de l’auteur est surtout très
visuel, C’est une mémoire guidée par le regard qui fixe des détails qui se
rapportent à la beauté. Et c’est cette mémoire qui entraîne des erreurs, motive
des choix, modifie des trajectoires. Petites
scènes capitales est un roman touchant au fond parce qu’il révèle certaines
réalités cachées de notre vie quotidienne ! On éprouve de la pitié envers cette
fille. Comment survivre malgré la disparition d'une mère ? Comment
survivre après la dislocation de la famille dans laquelle on vit ? Comment
survivre en dépit de l’indifférence d'un père qui semble ne prêter aucune
attention à son enfant ? Comment survivre quand on ne sait pas qui on est
et qu'on n'existe dans le regard de personne?
Sylvie
GERMAIN offre un roman d'apprentissage aux questions ouvertes sur la vie, la mort, l'absence et la religion. Une réflexion sur l'amour sous
toutes ses formes et en dépit des drames. De ces données fondamentales va se
construire un individu dès le plus jeune âge.
La
plume souple et attrayante de Sylvie
GERMAIN nous ouvre les yeux sur de nouveaux horizons dans la vie. Le roman est
agréable à lire. Sa structure cohérente et singulière nous incite à réfléchir
sur le destin de certaines personnes qui existent véritablement dans la société
! En lisant ce roman nous avons pris conscience à quel point toute vie est
précieuse !
Rayanne Ghamrawi Mecssassi
Département
de Français
Université
Libanaise - Section 3
Le quatrième mur
Sorj Chalandon
Ed. Grasset, 2013, 330 p.
Chalandon et la paix perdue
Après l'expérience d'une trentaine
d'années et d'un succès remarquable de son sixième roman intitulé Le retour
à Killybegs, Sorj Chalandon revient au monde de l'art romanesque pour
présenter "Le quatrième mur". Il y raconte ses souvenirs lorsqu'il
était correspondant pendant la guerre civile au Liban. Une nouvelle technique
s'impose dans ce roman dont le prologue
ouvre la voie au lecteur vers un monde plein de mystères. Ensuite, le jeu
s'arrête et la tragédie d'un certain Georges commence ; c'est en quelque sorte
Sorj Chalandon lui-même qui se met dans la peau du (je) de Georges-narrateur. Cette
tournure confère une marge de liberté pour l'auteur qui se permet de manipuler
ici et là les situations à travers les épisodes racontées. Selon lui, les mots
ont une couleur et une musique différente que ceux du journalisme qui obéit a
un ensemble de principes d'écriture et des conventions.
Chalandon, le journaliste de jour et
l'écrivain de soir, montre au lecteur comment
tout débute en 1974 à Paris où Georges vit sa jeunesse. Héritier des
événements de Mai 68, il a le rêve d'être héros, il pense que le danger
consiste à prendre quelque coups de pied dans les dents. il éprouve le
sentiment de changer le monde, fait la connaissance à Samuel, un grec, juif
caché, réfugié, et metteur en scène. Sam a fui un pays en guerre et ne rêve que
de monter Antigone d'Anouilh, il ne reste que le lieu. il débarque à Beyrouth
qui était en guerre et sous les bombes. Peu près, Sam est touché d'une maladie
grave ; alors Georges se charge d'une mission intéressante : la représentation
d'Antigone au Liban comme une sorte de fidélité à son ami en quittant une femme
et une fille.
Les personnages réunis
dans ce récit sont : une palestinienne, Antigone. Hémon, son fiancé, un druze. Créon, le roi de Thèbes, le père
d'Hémon, un maronite, et trois femmes chiites qui avaient d'abord refusé le
rôle des gardes. Pour équilibrer la répartition des rôles, Georges a attribué
le rôle d'Eurydice, femme du roi, à l'un d'entre eux. La nourrice était une
chaldéenne, et Ismène, sœur d'Antigone, est donnée à une catholique arménienne.
Georges part avec ses rêves et c'est
la réalité qui le retient. Assujetti longtemps à la violence des explosions,
les souvenirs de la mort dans le pays de cèdre le hante, les massacres de Sabra
et Chatilla qui ont enlevé Imanne ou
Antigone ne cesse d'occuper l'imagination de l'auteur. Cette Antigone est
relativement différente de celle de Jean Anouilh. Elle est morte avant ses
frères qui ont encore continué à s'entretuer. Même après la perte de leur sœur,
ceux-ci ont oublié le fait que la guerre
ne produit que la douleur, la souffrance a tel point qu'on ne savait qui
enterrera le bon frère de la nouvelle Antigone.
Si on lit le roman comme tout autre
récit traditionnel, il serait difficile de le comprendre, car les événements ne
s'organisent pas selon un ordre chronologique. Par exemple, il n'y a qu’un seul
jour entre la première et la dernière partie du roman, tandis que l'auteur a
bien respecté l'ordre chronologique du récit aux autres parties du récit.
D'autant plus, le narrateur projette parfois une masse de renseignements sans
aucune intervention de sa part. Par
contre, il présente ailleurs le même type d'informations à travers un
médiateur, ou en assumant lui-même la médiation. Il parle d'autres fois en tant
que personnage-narrateur à la première personne du singulier ou en attribuant
la parole à un autre personnage pour raconter ce que l'auteur-narrateur a déjà
vécu. On ressent toutefois que l'auteur confirme sa neutralité à l'égard de son
œuvre fictive et laisse souvent croire que (Le quatrième mur) est tout à fait
objectif.
De toute manière, le narrateur
s’attache souvent à rapporter des faits ou décrire des objets avec le maximum de précision. Le choix de
présent et du passé composé donne l'impression d'assister à une situation
réelle, de voir les objets en même temps que celui qui les décrit, comme c'est
le cas au cinéma. Ainsi, l'absence des figures traditionnelles de la
description (comparaison, métaphore) renforce l'impression de l'objectivité au
point que les frontières se dissipent entre les faits évoqués et le lecteur
effectif.
Chalandon nous a transmis un message
à double visage. Il consiste à ce que l'homme doit prendre en charge ses
responsabilités, d'une part, vis-à-vis de son entourage afin de mener à bien sa
mission dans la vie; et d'autre part, il doit assumer ses engagements à l'égard
des valeurs de l'amitié et de l'humanité.
Bahaaldin Fawzi Saulaiman
Département de français
Faculté de Lettres
Université de Mossoul
L'invention de nos vies
RépondreSupprimerKarine Tuil
Ed.Grasset, 2013, 504 p.
C'est l'histoire d'un triangle amical. Samuel, le fils d'intellectuels juifs. Nina, l'angle lustré dans le triangle. Samir qui part à New York pour étudier le droit.
Samir Tahar, de parents tunisiens, efface deux lettres de son prénom, devient Sam et avocat célèbre à New York. Sam a pillé le passé de son ami Samuel.
Samir, Samuel et Nina étaient de très bons amis à Paris. Mais ils se séparent à l'âge de vingt ans. Vingt ans plus tard les amis se retrouvent. Deux décennies plus tard, Nina qui est aimé par les deux grands amis de ce triangle Sam et Samuel, hésite entre eux. Samuel, désespéré, fait une tentative de suicide. Mais, Nina aime Samuel et ne le cache pas!!!
Dans ce roman Karine Tuil montre la force du destin, comment il a fait se rencontrer les amis après vingt ans? Et comment le destin de Samir est la preuve que le mensonge ne peut qu'être démasqué, et on ne peut jamais revenir de notre imposture. "Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on peut jamais en revenir".
Sur les cinq cents pages de ce roman Karine Tuil croise leurs vies en faisant éclater les faux-semblants, ce roman qui est fondé sur le mensonge de Samir, la réussite sociale, l'amour de Nina, l'identité en Amérique sur tout après le 11 septembre et la violence sociale.
Montaser Mohammed
Département de français
Université Al-Aqsa